6. Deux principes


Comme nous l'avons vu, Marx et Franck sont des antipodes aussi bien sur le plan personnel, que sur celui des méthodes scientifiques et de leur position sur la question juive. Franck est un philosophe, mettant au-dessus de tout la moralité et la vérité. Marx est un pseudo-philosophe, car il a mis la science au service de sa vanité, de sa soif du pouvoir et de la gloire. Chacun d'eux incarne aussi des principes opposés. Franck défend le principe de responsabilité de l'homme, c'est-à-dire de sa liberté. Or la liberté est la mère de la diversité, de la multitude des choix, des voies, donc elle est aussi la mère de la société pluraliste, divisée en cellules autonomes multiples, en secteurs divers. Par un malentendu et par la faute de Marx, on désigne cette société comme "capitaliste", mais le secteur capitaliste n'y est pas le seul, et est loin d'être toujours le principal. On y trouve aussi le secteur publique et ce troisième secteur, très large à certaines époques, celui où les travailleurs individuels ou associés sont des propriétaires directs des moyens de production. Ce sont les paysans, artisans, commerçants, médecins et autres professions libérales; groupements d'artisans, familles, communautés, coopératives, mutuelles, associations, etc. Nous avons baptisé cette troisième forme de propriété (car elle n'est ni capitaliste ni étatique) forme ergoniste, (du mot grec ergon, travail), et les travailleurs-propriétaires - ergonaires.

Franck représente donc la multicolore cohorte des partisans du principe de Pluralisme, autrement dit, de divers principes, de la multitude des voies, compatibles avec la loi, la moralité, la civilisation, laissant aux hommes la liberté de vivre, travailler, consommer de différentes façons, et aussi de se réunir en collectivités de toute sorte. Car la personne indépendante, même la plus "égoïste", ne s'isole pas de la société, mais possède maints intérêts ou besoins communs avec d'autres hommes, et elle seule est un vrai (car volontaire) collectiviste et altruiste (Aristote dit, dans La Politique, que toute cité, tout village est une communauté et ne peut exister sans parties et activités communes). Certes, dans une telle société - mise à part l'égalité des droits, devenue le socle de la démocratie - il est impossible d'assurer une égalité en toute chose, mais tel est le prix de la liberté (faut-il rajouter, que la suppression de la liberté crée non pas l'égalité générale, mais le despotisme des "égalisateurs"?). La liberté est impensable sans sa conséquence - la diversité.

Le socialisme, par contre, c'est l'horreur de la diversité. Son idéal, c'est la caserne. C'est pourquoi Marx hait la société pluraliste, veut la raser, et sur ses ruines, au nom de l'égalité totale, édifier une fourmilière monolithique, où l'individu sera dilué dans la masse, la société prendra toute la responsabilité sur lui, sur tout, et l'individu sera irresponsable, deviendra juste un petit rouage ou une vis de l'immense Machine, un employé ou un esclave muet de l'Appareil. C'est justement cette idée d'irresponsabilité qui a engendré le communisme, comme l'avait proclamé sans ambages Engels, en mars 1845: "Le communisme repose précisément sur ce principe de l'irresponsabilité de l'individu". Terrible aveu! Tout le marxisme est bâti sur l'idée que l'homme est une irresponsable marionnette de l'économie, et les classes seules sont des acteurs de l'Histoire. Marx, comme tout adepte du collectivisme, est un soldat de l'armée, sur le drapeau rouge de laquelle est inscrit son principe: "Suppression de la personne autonome". Autrement dit: Principe du monolithisme.

C'est justement ce principe, que Franck, en utilisant uniquement des instruments philosophiques, examine et considère comme extrêmement dangereux. Sa pénétrante analyse et l'incroyable précision de sa prévision des conséquences de ce vicieux principe sont une excellente preuve que, pour éviter maints malheurs et égarements de l'humanité, il suffit d'étudier attentivement les idées, les principes, les notions. Même les expériences ne sont pas nécessaires. Sur l'exemple du philosophe Franck nous voyons que la culture, et surtout sa reine - la philosophie, la vraie philosophie - est capable d'éclairer la voie aux hommes, rendre le monde plus sage, plus bon, plus riche. La méthode, appliquée par Franck, peut bien servir encore de nos jours à l'éviction prophylactique des faux dogmes, à la neutralisation de toutes sortes de faux prophètes et idoles, derrière lesquels les foules du 20e siècle ont couru si souvent et si aveuglement. Les conclusions de Franck sur l'essence du socialisme sont extrêmement instructives. Elles nous aideront à résoudre toute une série de mystères actuels. Ecoutons sa voix, qui nous vient d'un siècle et demi de distance, mais qui n'a rien perdu de sa force et de son actualité.
















7. Les avertissements d'un sage

La principale qualité de la brochure de Franck gît dans le fait, que l'auteur commence par l'étude de la racine même du principe socialiste, de son essence, et les exemples historiques ne servent qu'à la vérification du diagnostic. En cela Franck (qui étudiait la médecine) rappelle ces médecins ou biologistes, qui ne se perdaient pas dans la forêt des théories à la recherche des explications des maladies contagieuses, mais découvraient les microbes ou virus responsables. Franck définit tout de suite le socialisme comme une idéologie maligne, et trouve son virus dans la racine des mots socialisme et communisme, signifiant collectivisation. Dans l'ancienne partie de la brochure, écrite en 1848, Franck dès la deuxième page comprend la logique de ce qu'il évalue comme des "doctrines malfaisantes", "une nouvelle alchimie" :

"Le socialisme, c'est la prétention, non pas de réformer, mais de refaire la société de fond en comble, de la constituer sur de nouvelles bases, de changer toutes ses conditions, de substituer un autre droit à son droit, une autre morale à sa morale, comme si le crime et la folie avaient été jusqu'à présent ses seuls législateurs".

C'est une idée importante. Toutes les autres révolutions corrigeaient une certaine partie inadaptée de l'édifice social, en gardant tout ce qui était sain, toutes les bases essentielles de la construction. Le socialisme seul exige de raser l'ensemble, même les fondations de la civilisation. "Du passé faisons table rase, (...) le monde va changer de base", comme le chante l'Internationale, hymne des collectivistes. Cela seul suffit pour engendrer un cauchemar sanguinaire. Franck note, à quelles valeurs le socialisme déclare la guerre:

"(...) Comme l'ordre social, tel que nous le concevons aujourd'hui, c'est-à-dire tel qu'il a toujours existé, repose tout entier sur la propriété et sur la famille, c'est à ces deux institutions que s'attaquent en général, soit directement, soit indirectement, d'une manière franche ou détournée, tous les socialistes."
(p. )(=original p.29)

Franck remarque, que les différentes formes du socialisme et du communisme ont un "noyau" identique, bien qu'elles mettent l'accent sur les différents éléments de la vie sociale (les uns sur la production, les autres sur la distribution, etc.). C'est pourquoi:

"Tous les socialistes, qu'ils le sachent ou qu'ils l'ignorent, qu'ils le dissimulent ou l'avouent, (...) sont nécessairement communistes" (p. )(=p.30).

Franck aussitôt refuse au socialisme le droit au titre de système avancé, d'incarnation du progrès de l'Humanité, de son avenir plus perfectionné. Au contraire, pour le connaisseur de l'Histoire Franck, le socialisme, c'est le retour au passé, un vieux projet de fourmilière primitive:

"C'est une étrange illusion de nous présenter le communisme comme la forme la plus accomplie de la société et le but de toutes les révolutions qu'elle est destinée à subir; il n'y a rien au contraire qui la rapproche plus de son enfance, rien qui soit plus opposé aux idées de liberté et de justice, par lesquelles se mesurent tous ses progrès."

Car "l'égalité des fortunes" et "la communauté des biens" ont existé "de fait chez des peuplades encore plongées dans la vie sauvage" (p. )(=p.31).

Le progrès de l'Humanité consiste non pas dans la collectivisation, mais au contraire, dans la libération de l'individu des entraves de la collectivité, de la domination collective:

"(...) La propriété, aussi bien que l'individu, ne s'affranchit que par degrés des liens de la communauté, soit celle de l'Etat, ou de la famille, ou d'une caste privilégiée, pour revêtir un caractère entièrement libre et personnel; en d'autres termes, la communauté et l'esclavage, la propriété et la liberté ont toujours existé ensemble et dans les mêmes proportions: partout où l'on aperçoit l'une, on est sûr de rencontrer l'autre; dès que l'une est niée, étouffée ou amoindrie, l'autre l'est également; (...) on peut dire que le degré d'affranchissement où la propriété est arrivée chez un peuple, nous donne la mesure exacte de sa civilisation et particulièrement de son éducation morale" (p. )(=p.32).

Franck appuie ces très importantes thèses sur des exemples de systèmes collectivistes dans l'Histoire de l'Inde, de la Perse, de l'Egypte, de Sparte, de la Crète (notons, que ces trois derniers socialismes réels avaient inspiré Platon, l'auteur de la première utopie communiste et patriarche de tous les utopistes). De ces anciennes expériences du règne collectif de différentes castes - militaires, cléricales, clericalo-bureaucratiques Franck tire des conclusions, dont la profondeur est époustouflante, puisqu'elles viennent d'un homme d'une époque où nulle expérimentation contemporaine du socialisme n'était encore faite:

"Le principe de la communauté une fois reconnu, l'intérêt bien ou mal entendu de l'association mis en place de la conscience et de l'éternelle raison, il faut lui sacrifier tout, propriété, famille, dignité, affections, pudeur; car si vous réservez un seul de ces biens, il vous sera impossible de ne pas réclamer les autres, tout le système s'enfuira par cette brèche, et la fourmi se transformera en homme" (p. )(=p.39-40).

Franck constate que ce système a pour conséquence "une pauvreté extrême" (p. )(=p.42) et que partout il est "appuyé sur l'esclavage" (p. )(=p.43), non pas sur l'esclavage privé, où le maître apprécie et soigne l'esclave, comme on soigne les bêtes de labeur. Et ce n'est pas l'esclavage domestique, où sont possibles l'attachement, la pitié ou même l'amour, et d'où les sorties existent (rachat, mariage, fuite, libération pour infirmité ou sénilité). Non, ici l'esclavage est différent:

"(...) Le plus hideux, le plus cruel, le plus effroyable de tous, parce qu'il est sans terme et sans remède, parce qu'il n'y a ni compassion, ni affection, ni ménagement à attendre pour lui, de ce maître sans entrailles qu'on appelle l'Etat; en un mot l'esclavage politique" (p. )(=p.44).

Oui, si chez un ordinaire maître d'esclaves chaque esclave présente une partie importante de sa richesse, chez l'Etat sans âme et sans entrailles, possédant des millions d'esclaves, un esclave n'a aucune valeur, sa vie ne vaut pas un sou, ses besoins n'intéressent personne. Car ce lointain Maître ne le voit même pas, ne le connaît guère.

Dans le chapitre consacré à l'analyse des communautés d'origine religieuse, généralement fondées sur le renoncement aux biens terrestres, sur la charité ou sur le besoin de solitude pour l'autoperfectionnement, Franck repère la distinction radicale entre ce "communisme" de groupe et le communisme généralisé, étatique. C'est un bon avertissement pour ces croyants myopes, qui voient dans le communisme un allié, un défenseur des humiliés, ou une nouvelle forme de christianisme:

"La charité toute seule ne peut pas servir de base à un gouvernement, à un ordre social, et là où elle est forcée, elle se change en servitude. Le christianisme et le communisme, loin de se confondre, sont donc complètement opposés l'un à l'autre. Le premier se fonde sur l'amour et par conséquent sur la liberté, le second sur la contrainte; le premier commande la résignation, le sacrifice; le second, la spoliation."

Comment peut-on prendre le communisme, "oeuvre de confiscation et de violence" pour "le fruit le plus accompli de la charité chrétienne"?, demande Franck (p. )(=p.49). D'autant plus que le communisme rejette avec mépris la religion elle-même avec sa partie essentielle - l'enseignement moral.

En étudiant les projets des utopistes - calomniateurs de la propriété, théoriciens de la dilution de la personne dans la masse - Franck voit en eux les grains de ce qui recevra au 20e siècle le nom de goulag. C'est un effet direct du principe pur du socialisme: "Le principe une fois introduit, il est difficile d'en arrêter les conséquences" (p. )(=p.71). Dans le principe d'abolition de la propriété gît l'exigence de l'assassinat de la liberté:

"(...) Car si la conscience et la pensée restent libres, vous verrez reparaître aussitôt toutes les autres libertés et avec elles la propriété" (p. )(=p.76).

C'est pourquoi Franck n'est nullement surpris par l'apparition, après les douceâtres utopistes, de révolutionnaires du socialisme, assoiffés de sang (Robespierre, Babeuf), dont le caractère despotique saute aux yeux et qui ne cachent guère leur intention d'instaurer leur système par la violence, puis de le maintenir par la terreur. La "République des égaux" collectivisée du projet de Babeuf (favori de Marx et de Lénine):

"(...) C'est le niveau du plus lourd despotisme pesant sur toutes les actions et sur toutes les facultés, atteignant l'âme aussi bien que le corps, le travail de la pensée comme celui des mains, écrasant tout ce qui s'élève(...)" (p. )(=p.83-84).

Paroles prophétiques, terribles... Franck considère le communisme de Babeuf comme "le seul conséquent" (p. )(=p.86). Ou plutôt - le plus franc. C'est pourquoi il ressemble si fortement à la fourmilière du socialisme, qui sera réalisée ensuite (cette comparaison demande une réserve: la fourmilière rouge est bien particulière - en sortir est strictement interdit aux fourmis...). Notons, que par les paroles qui suivent, Franck décrit non pas le futur socialisme, mais seulement les conséquences, qui se devinent dans le projet de Babeuf, fabriqué en 1795 pour la France, mais réalisé en Russie 122 ans plus tard:

"Ainsi voilà un système qui s'introduit au nom de la liberté et qui aboutit au plus horrible esclavage; qui appelle tous les hommes à la richesse, à la science, au bonheur, et qui ne leur offre que la pauvreté, l'ignorance, l'existence la plus aride et la plus bornée; enfin, qui veut fonder la société sur le principe de la fraternité humaine, et qui commence par exciter au meurtre, au pillage et à l'incendie" (c. )(=p.85).

L'incendie de Paris, allumé par les communards, commencera quelques jours après la rédaction par Franck de l'avant-propos et de la conclusion de 1871, rajoutés à sa brochure de 1848. Mais les communards, des vrais bolcheviks français, avaient déjà révélé toute l'inhumanité de leur pouvoir, et Franck disposait d'une nouvelle et puissante confirmation de la justesse de son évaluation du socialisme. C'est alors qu'il a écrit les lignes suivantes, lesquelles doivent faire réfléchir tous les amateurs du socialisme "pur", encore nombreux sur notre planète, exténuée, malade du socialisme:

"Communisme et socialisme, on ne saurait assez le répéter, ne sont que des noms différents d'une seule et même chose. Le communisme, suivant les temps, suivant les lieux, suivant l'esprit des générations auxquelles il cherche à s'imposer, peut changer de forme et de langage, il ne change pas de principes, et ses conséquences, quand il lui est donné de les réaliser, demeurent invariables. Il supprime la propriété, il supprime la liberté tant civile que politique, il supprime la famille. On peut dire qu'il supprime la personne humaine et, par conséquent, la conscience morale de l'homme pour mettre à sa place la toute-puissance, la tyrannie collective et nécessairement irresponsable de l'Etat. (...)
Demeuré le seul entrepreneur, le seul capitaliste, l'Etat sera tout et l'individu ne sera rien, ce qui est la marque distinctive du communisme. (...)
Si l'Etat se voit obligé de pourvoir à tout, il faut qu'on lui laisse le droit de disposer de tout(...)"
(pp. , , )(=pp.7, 12, 13).

Franck condamne le socialisme non pas à partir des positions du conservatisme. Ce véritable démocrate n'affirme pas que tout est formidable dans la société pluraliste. Lui, comme tout vrai libéral, accepte l'homme tel qu'il est - imparfait et se perfectionnant lentement, donc nécessitant d'incessantes réformes, qui aideraient à sa progression ou marcheraient sur ses pas. Toute la vie de Franck était consacrée au perfectionnement de la société libre. Cette recherche ininterrompue, vraiment révolutionnaire du bien constitue la qualité distinctive du système libre, pluraliste qui n'a jamais prétendu être idéal. A la fin de sa brochure, Franck appelle à améliorer la situation et l'instruction des travailleurs. Il rend hommage aux formes ergonistes de propriété, où le travailleur est maître du capital qu'il utilise. La sympathie de Franck, fils d'un paysan, est du côté des "ergonaires":

"Le paysan qui laboure son champ lui-même et le propriétaire d'un atelier qui seul, ou avec un certain nombre de compagnons, le met en activité, sont tout à la fois des bourgeois et des ouvriers" (p. )(=p.95).

Franck défend les associations libres des ouvriers, à condition qu'elles soient fondées sur le "principe de liberté", à la différence de l'Internationale, basée sur "le principe contraire". Le 15 mai 1871 dans les faubourgs de Paris faisaient rage des combats de la guerre civile, quand Franck écrivait à propos de l'Internationale dans la conclusion de sa brochure:

"Son but est le communisme, ses moyens sont la violence et la terreur. C'est par la révolution et la guerre civile qu'elle essaie en ce moment même de réaliser son programme. Ainsi la Société internationale, loin de servir les classes laborieuses qu'elle a la prétention de représenter, est elle l'instrument de leur ruine et de leur abaissement" (p. )(=p.97).

Franck considère comme les meilleures instruments du progrès non pas une cruelle lutte de classe, mais la patience, la charité et les réformes. En Occident ont vaincu les idées que prêchait Franck, et les travailleurs sont arrivés par la lutte pacifique au bien-être, à la pleine liberté et au total respect de leurs droits. Là où les idées de Marx ont triomphé, les classes laborieuses ont réellement subi "la ruine et l'abaissement", car elles sont devenues esclaves d'un omnipotent maître collectif, dont le seul souci est sa propre opulence, son pouvoir et sa puissance. Et même après l'écroulement de ce système de domination totale, la ruine et l'abaissement du peuple n'ont pas cessé, car reconstruire à nouveau la société pluraliste, bâtie pendant des siècles et complètement rasée, et aussi guérir les âmes, la moralité, défigurées par un long esclavage, - c'est une affaire difficile et très longue.


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Nous ne savons pas si Marx avait lu Franck. Mais rappelons-le: il était au courant des avertissements d'une multitude d'autres prophètes, notamment de la féroce critique du communisme par les anarchistes Proudhon et Bakounine. Sans pitié, ils décrivaient le paradis communiste futur comme un "régime de caserne, exaltation de l'Etat, glorification de la police, règne de la bureaucratie, dictature partout, communauté du mal et de la misère, absurdité, hideux cauchemar".

Ce qui est sûr, c'est que Lénine, lui, avait lu Franck. Il est difficile de savoir, s'il a lu la brochure sur le communisme, mais il se servait largement du Dictionnaire des sciences philosophiques, publié à Paris en 1852 sous la direction de Franck et réédité deux fois, restant près d'un siècle un ouvrage de référence largement utilisé. Franck y a écrit une multitude d'articles (tous ceux qui ne sont pas signés), et surtout le formidable article Socialisme, de 7 pages denses. Lénine cite, dans son essai enragé Impérialisme et Empiriocriticisme de 1908, la définition du mot sensualisme, donné par Franck dans son Dictionnaire. Tout près de ce mot se trouve le grand article sur le socialisme, et il n'y a pas le moindre doute, que Lénine y a jeté son regard curieux pour ensuite le lire avec avidité. Probablement, c'est en commençant par cet article qu'il a pris connaissance du Dictionnaire... Il est intéressant de noter, que dans la 5e édition des oeuvres de Lénine, une note de l'éditeur sur Adolphe Franck, en tant que rédacteur du Dictionnaire, le désigne comme "philosophe-idéaliste" et auteur du livre Le Communisme face à l'Histoire (t.18, p.506). C'est un échantillon de la traduction socialiste: face à l'Histoire, pour ne pas dire jugé par l'Histoire ou, encore plus fort (pas précis, mais plus près de l'original) - devant le Tribunal de l'Histoire... Revenons à Lénine. Déjà au pouvoir, il mentionne une nouvelle fois le Dictionnaire de Franck le 1er septembre 1920 dans sa lettre à la bibliothèque du musée Roumiantsev, en demandant de le lui envoyer et en le qualifiant comme l'un des trois "meilleurs dictionnaires philosophiques" de l'époque (t.35, p.467). En avait-il besoin pour relire l'article sur le socialisme? A-t-il relu les terribles prophéties de Franck dans le Dictionnaire, en ce temps effroyable où Lénine lui-même avait commencé à craindre les conséquences cauchemardesques de son saut vers le socialisme? A-t-il de nouveau examiné les explications détaillées de Franck sur la nature trompeuse du principe collectiviste, capable d'amener seulement vers la guerre civile, la ruine, le mensonge, la terreur et le despotisme? A-t-il rafraîchi dans sa mémoire les avertissements de Franck, notamment ce passage du Dictionnaire sur l'impossibilité du socialisme à être société de liberté et d'égalité?:

"On conçoit encore la communauté des biens dans une société partagée en deux fractions éternellement divisées, dont l'une a pour attributions de jouir et de commander, l'autre de travailler et de servir; dans une société, enfin, où règne (...) l'esclavage politique(...)".

A-t-il cogité sur cette conclusion de Franck (écrite en 1852!)?:

"Ce tableau succinct, mais fidèle, du socialisme, est pour nous une preuve directe, une démonstration par l'absurde, que l'ordre social se confond avec l'ordre moral, et que, sans le respect de ces trois choses, - la liberté, la propriété, la famille, - la société est impossible. Le socialisme a donc une utilité négative: c'est d'inspirer l'horreur de l'immoralité et du despotisme, sous quelque nom qu'ils puissent se cacher, et de pousser les hommes, par la seule crainte de ces deux choses, vers la liberté et la justice, vers le respect de la personne humaine".

Qu'est-ce qui a poussé Lénine, quelques mois après la très probable lecture de ces lignes, à décider sa NEP (Nouvelle Politique Economique), c'est-à-dire le recul, le virage à droite, la réduction de la dose du socialisme? Est-ce cette lecture, ou la résistance acharnée des paysans, ou bien l'atroce famine - fruit du pillage socialiste de la campagne? Peut-être tout à la fois. Le pays aura un répit de 8 ans, et l'on n'y introduira plus jamais le socialisme total, pur, à la Pol Pot (avec l'égalisation des salaires, la destruction de la famille, la liquidation totale de toutes les conditions et effets de la liberté - la propriété privée, le marché, le commerce, l'argent, etc.).

On peut nous objecter: les avertissements de Franck se rapportent au socialisme "utopique", d'avant Marx, tandis que chez Marx il est différent, "scientifique", véridique, humain, un socialisme qui aurait pu donner des fruits doux, s'il était préservé des "perversions", dues aux conditions russes et au dictateur géorgien. Eh bien, tournons nos regards vers l'autre brochure-clef, qui a paru presque en même temps que celle de Franck - vers le texte capital de Marx et Engels, leur Manifeste du parti communiste. Quel socialisme découle de ce texte "scientifique"?











8. Les plans d'un dictateur


Comme toute utopie de gauche, le Manifeste est construit selon un schéma simple. D'abord on présente un tableau cauchemardesque de la société normale (évidemment imparfaite, mais correspondant à la mentalité et aux possibilités de l'époque, et se perfectionnant constamment, depuis l'âge des cavernes). Ensuite on offre un projet du Paradis terrestre selon les recettes du Penseur. Marx ne se contente pas de calomnier la société existante. Il lui renie dans sa brochure toute possibilité de progresser et prédit l'aggravation de tous les malheurs, l'inéluctabilité de toutes les catastrophes: "La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées: la bourgeoisie et le prolétariat." "La bourgeoisie supprime de plus en plus l'émiettement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains" (p.37). Les crises "menacent de plus en plus l'existence de la société bourgeoise" (p.39), la ramènent "à un état de barbarie". "Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein". La bourgeoisie a "forgé les armes qui la mettront à mort: elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes - (...) les prolétaires".

"Le producteur devient un simple accessoire de la machine." Son salaire correspond au prix des moyens minimaux d'existence, nécessaires "pour s'entretenir et perpétuer sa descendance" (p.41). (Comme si la classe ouvrière n'était que du bétail ne sachant pas lutter pour ses intérêts - contradiction ahurissante pour le théoricien de la "lutte des classes", qui misait justement sur la combativité des prolétaires!..). Donc, "les salaires baissent", tandis que "la somme de labeur" exigée de l'ouvrier s'accroît. De plus en plus, "le travail des hommes est supplanté par celui des femmes et des enfants" (p.42). "Le travailleur devient un pauvre, et le paupérisme s'accroît" (p.51). La classe moyenne, les travailleurs indépendants se ruinent, "tombent dans le prolétariat" (p.43). "Parfois, les ouvriers triomphent; mais c'est un triomphe éphémère" (p.45). "Le prolétaire est sans propriété" (p.48). (Prédictions étonnement justes! Non pas pour le capitalisme, mais pour le socialisme, où l'ouvrier deviendra réellement esclave misérables sans droits, obligé de voler l'Etat, pour tirer ses revenus jusqu'au niveau d'un minimum vital...).

Ensuite sont étalées des affirmations, semblables aux menaces, aux desseins d'introduire la terreur révolutionnaire. Le prolétaire, suivant Marx, n'est pas obligé respecter la morale universelle... "Les lois, la morale, la religion sont à ses yeux autant de préjugés bourgeois". Les prolétaires "ont à détruire toute garantie privée, toute sécurité privée antérieures" et abolir "le mode d'appropriation en vigueur" (p.49). A la place de la propriété privée sera forgé un Capital Unique, et l'Etat deviendra le Maître tout-puissant. C'est facile à deviner de cette promesse sans équivoque pour l'avenir radieux: "(...) Le capital est transformé en propriété commune appartenant à tous les membres de la société(...)" (p.36). La tragédie de la paysannerie est programmée aussitôt après l'annonce du but cardinal des communistes: "abolition de la propriété privée". Le tableau des millions de paysans tués, déportés, affamés à mort, transformés en serfs se lit dans les moqueries marxiennes sur "la propriété personnelle, fruit du travail et du mérite, (...) propriété du petit bourgeois, du petit paysan" (p.55). La terreur sanguinaire, la guerre civile, l'expulsion de millions de gens se dessinent dans cette phrase: "Le prolétariat fonde sa domination par le renversement violent de la bourgeoise" (p.50). A la fin du Manifeste, la guerre civile, la terreur, la police politique sont planifiées ouvertement:

"Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout ordre social passé." (p.94)

Et ils ont raison - leur tâche colossale de démolition TOTALE "de tout ordre social" demande l'emploi de moyens gigantesques, balayant tout. Le socialisme, en tant que destruction de toutes les bases de la civilisation, ne peut naître et se maintenir sans une violence monstrueuse. A la fin du deuxième chapitre, ce renversement est assez clairement et résolument ébauché sous forme de mesures concrètes, on dirait, de décrets, conduisant à la fabrication du Super-Etat socialiste, que l'histoire n'a jamais connu (dans les tentatives antiques, une telle plénitude de collectivisation n'a été atteinte nulle part). Les voilà, ces bases du monde concentrationnaire:

"(...) Arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l'Etat(...). Expropriation de la propriété foncière(...). Centralisation du crédit entre les mains de l'Etat(...). Centralisation entre les mains de l'Etat, de tous les moyens de transport. (...) Travail obligatoire pour tous; organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture" (pp.67-69).

Lénine, Staline, Mao, Castro et autres tyrans n'auront aucun besoin de réfléchir - il leur suffira de copier et de réaliser les décrets du Manifeste, découlant strictement de la logique du collectivisme (la même que dans n'importe quelle utopie de gauche).

Ce que sont les conséquences de cette logique, nous, hommes de la fin du 20e siècle, nous les comprenons facilement. Mais elles étaient connues aussi de Marx et Engels, qui avaient été prévenus par différents prophètes ou tout simplement par des hommes de bon sens de leur temps. Le Manifeste reflète nettement l'écho des ces alarmants avertissements. Par exemple, en répondant à l'inquiétude de différentes Cassandre au sujet de l'intention socialiste d'abolir l'initiative et le travail libre des individus, Marx ironise dans le Manifeste: "Et c'est l'abolition d'un pareil état de choses que la bourgeoisie flétrit comme l'abolition de l'individualité et de la liberté!" Ha-ha-ha! "Et avec raison. Car il s'agit effectivement d'abolir l'individualité, l'indépendance, la liberté bourgeoises" (p.58). Enlevez de cette phrase le dernier adjectif superflu, et vous comprendrez ce qui sera aboli dans le socialisme... Ah, ces bourgeois! "Vous nous accusez de vouloir abolir votre propriété à vous. En vérité, c'est bien ce que nous voulons". Il se trouve encore de gens naïfs, ayant objecté "qu'avec l'abolition de la propriété privée toute activité cesserait, qu'une paresse générale s'emparerait du monde" (p.59). Qui y croirait? En effet, le pronostic s'est avéré imprécis. La paresse, certes, s'est répandue, comme jamais dans l'Histoire, mais l'activité n'a pas cessé. La terreur forcera au labeur, d'autant plus dur, qu'il se fera à contrecoeur, et le plus souvent inutilement, pour fabriquer de la rouille, ou pire - du fil barbelé. Ce labeur de bagne ne rapportera rien à la population - après un demi-siècle ou trois-quarts de siècle de travail forcé, le socialisme s'écroulera, laissant dans la misère, au milieu des montagnes de ferraille rouillée, tous les peuples socialisés, sans exception.

Une autre objection des pleurnicheurs bourgeois amuse Marx: "L'abolition de la famille! Même les plus radicaux s'indignent de cet infâme dessein des communistes" (p.61). Il y avait ce petit projet même chez les utopistes, et Marx l'inscrit dans sa liste de leur "propositions positives", bien dans la logique du socialisme (p.89). Marx ne dément pas ce reproche, ne renonce pas à la démolition de la famille, ce nid de propriété privée, ce rempart contre le collectivisme étatique. Au contraire! "Avec la disparition du capital", dit-il, "la famille bourgeoise s'évanouit naturellement" (p.61). Marx avoue, que les communistes veulent, "mettre à la place d'une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle" (p.63). Hélas... La résistance farouche du peuple empêchera les communistes de réaliser à 100% leur beau programme, les forcera d'introduire les NEP - les "nouvelles" politiques, comme ils appellent le retour aux vieux principes. C'est pourquoi la famille survivra dans le socialisme, bien qu'asphyxiée par l'Etat tout-puissant, et dépendante de lui entièrement. Ce sera la famille-mendiante (pour le plus petit besoin, il faut mendier auprès des bureaucrates!), rachitique, minée par la délation, privée du droit de posséder son logement ou ses moyens de production (terre, boutique, atelier, cabinet), qui assurent l'indépendance (la famille sera entièrement étranglée uniquement au Cambodge sous Pol Pot, où l'on a introduit le programme selon Marx, à 100%). Malgré tout, la famille, survivance du passé, avait survécu... Le socialisme, c'est justement le communisme plus ou moins dilué, légèrement humanisé (les gauchistes disent: "perverti") par des éléments éternels, "bourgeois", et seulement grâce à eux les gens respirent un peu. Le communisme total est complètement invivable, inapte à survivre. On ne peut guère contester, que sans les béquilles capitalistes aucun socialisme ne pourrait se tenir sur ses jambes, ce qui est confirmé par l'exemple du Cambodge écroulé et par le crach de tous les "bonds en avant" vers le communisme, y compris du mini-bond français sous Mitterrand.

Ecoutons encore une fois la voix perçante de Marx, irrité par les avertissements des Cassandre. Les bourgeois effrayés affirment, que "le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion et la morale" (p.66). Le Manifeste ne le nie pas, il le confirme fièrement. Il explique même la raison pour laquelle le futur socialisme foulera aux pieds les vérités éternelles, la religion et la morale:

"La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété; rien d'étonnant si dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles" (p.67).

Par un trait de plume sont balayeées l'expérience, les idées, les moeurs, les traditions millénaires!.. Et ce n'est pas un caprice des auteurs du Manifeste. Non, telle est la logique du socialisme, qui rase les bornes de la propriété, dissout l'individu dans la masse, plus précisément - dans un Hyper-Etat. Ne sont, en effet, compatibles avec ce système d'hyper-esclavage ni la vieille morale de la personne indépendante, responsable, ni les autres vieilles valeurs "juives", devenues des bases de la civilisation. La Bible et le Manifeste communiste s'excluent mutuellement. L'homme qui ne se prosterne pas devant les idoles, qui refuse le mensonge et la violence, qui ne convoite pas les biens d'autrui, ne veut pas avoir les femmes ou les maris "en commun", - un tel homme n'est pas fait pour le socialisme.

Le socialisme menaçait d'effacer non seulement les bornes de la propriété et de la famille, mais également les frontières nationales et toute singularité nationale. Le Manifeste assure que "les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie". Mais ce ne sont que des broutilles, des rapprochements consenties... Sous le socialisme, le nivellement sera total et brutal: "Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore". Car "les ouvriers n'ont pas de patrie" (p.64).

L'astuce la plus habile de Marx (c'est en elle que gît le secret du succès du marxisme) est dissimulée dans un mot de la phrase finale du premier chapitre du Manifeste: "Sa chute [celle de la bourgeoisie] et la victoire du prolétariat sont également inévitables" (p.55). Ce mot magique, c'est le mot INÉVITABLE. Car tout homme qui croirait à cette analyse délirante de Marx doit aussi croire à son pronostique sur l'INÉVITABLE victoire du prolétariat et donc à l'imminente arrivée au pouvoir des collectivistes! Et si ce croyant est par nature un arriviste, un lâche ou simplement un idéaliste naïf, il courra inéluctablement s'inscrire à l'un des partis de gauche! Marx se distingue des utopistes seulement en cela: il prêchait, d'une façon plus persuasif que les autres, l'idée charlatanesque sur l'Arrivée Inévitable du socialisme suite à l'inéluctable évolution de la société (bipolarisation, concentration des capitaux, etc.). Les utopistes, eux proposaient leur socialisme de rêve, comme un pseudo-découvreur propose un nouveau remède-miracle, que l'on peut prendre ou rejeter (et tous les hommes sensés le rejetaient, en y reconnaissant un poison). Mais essayez de rejeter l'INÉVITABLE... Chacun, évidemment, est libre ne pas croire que l'inévitable est incontournable et que le socialisme (le vieux système de domination des castes...), c'est l'avenir proche des pays civilisés, une Fatalité historique... Mais si une masse assez importante d'hommes se mettait à y croire, elle, cette masse, commencerait fiévreusement à courir à la rencontre de l'inévitable, pour le créer et l'accélérer. Et ce qui n'avait en soi rien d'inévitable, pourrait être attiré par les cheveux, à l'aide d'une immense bêtise et d'une terrible violence.

C'est ainsi que l'évitable est arrivé. Le socialisme a été introduit par la force, bien qu'il n'y avait nulle part de forte concentration des capitaux ou de prolétarisation de la population. Notons: avant la révolution en Russie, les ouvriers d'usines représentaient 2% de la population, en Chine 0,17% - oui, 1 Chinois sur 600! Et dans aucun des pays les plus industrialisés, la classe ouvrière, y compris les enfants d'ouvriers, n'a jamais dépassé un tiers de la population. Seul le socialisme a réalisé les "prophéties" de Marx sur la prolétarisation de la société - en URSS en 1979, le prolétariat représentait 60% de la population, et cela à l'époque où dans les pays développés la classe ouvrière commençait à disparaître, et où un taux relativement élevé de population ouvrière devenait un signe d'arriération. Car ce n'est pas l'acier, mais l'information et les services qui sont des bases d'une économie avancée.

Comme résultat d'une évolution normale, "l'Inévitable" n'est arrivé NULLE part. Néanmoins les auteurs du Manifeste ont atteint le but principal - les croyants en l'Inévitable se sont multipliés, et partout se sont créés des partis, destinés à aider Son accouchement... Autrement dit, sont apparues les "avant-gardes de l'Humanité"... La pseudo-argumentation théorique en faveur de la création de cette nouvelle aristocratie, c'est une partie importante, mais presque imperceptible du Manifeste. Une réflexion sur ces quelques phrases vaut la peine:

"Les communistes (...) font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. (...) Ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. (...) Théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien." (p.53-54)

Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie d'abord, que les frontières des nations ne seront pas des obstacles aux appétits des communistes. Et que par avance ils se désignent "représentants du mouvement dans sa totalité", c'est-à-dire qu'ils déclareront les autres représentants hors la loi, bons pour la liquidation, et n'auront aucun besoin d'une procédure électorale pour légitimer leur titre de représentants. Cela signifie aussi qu'à leur avis ils possèdent, mieux que tout autre, "l'intelligence claire des conditions", etc., autrement dit, ils s'élèvent intellectuellement bien au-dessus du "reste du prolétariat", et d'autant plus au-dessus du reste des masses du peuple, qu'il sera aplati sous le poids de la dictature du "prolétariat" (pourvu que ce reste survivra après la prolétarisation, promise par Marx, de toute la population, hormis quelques millionnaires...). Ces trois phrases du Manifeste, c'est un franc programme d'organisation d'une "nouvelle" classe féodale - de la nomenklatura, de la bureaucratie ou partocratie (nous avons préféré le terme "classe des hégémones", du grec hêgemôn, chef). Ce programme, c'est l'embryon du futur apartheid social entre la classe des hégémones, organisée comme une mafia, et le peuple. Donc le titre de Père de la bureaucratisation revient non pas à Lénine ou à Staline, mais bien à Marx. Pour être plus précis, même pas à lui, mais au socialisme lui-même, avec son Principe cardinal de collectivisation massive, en faveur de laquelle prêchaient, bien avant Marx, depuis Platon, pendant 23 siècles, des centaines de penseurs plus ou moins naïfs, ne comprenant guère où ce principe mène en réalité. Marx, lui, avec l'aide bien active d'Engels, a parfaitement compris la logique du socialisme et voulait se mettre à cheval sur elle pour foncer vers le pouvoir. Mais le temps lui a manqué... Le praticien Lénine aussi l'avait bien compris, mais il n'a réussi qu'à moitié (en théorie il n'a rien créé, donc le terme "léninisme" est un malentendu). Seul l'exécutant Staline avait achevé la réalisation du programme. Néanmoins, les profils de tous les quatre créateurs du Monstre méritent bien de figurer sur le drapeau sanguinaire du socialisme.

Comme on le voit, l'idée de la "perversion" du Bel Idéal socialiste, alias la théorie de la malheureuse "déviation" de la Juste Voie par la faute du méchant Guide ou des conditions russes défavorables n'est qu'une minable explication, qui pouvait déjà être rejetée en 1848. Il suffisait de lire attentivement, avec une loupe à la main, la brochure de Marx. Ou bien, sans se fatiguer les yeux, de lire la brochure de Franck, démontrant avec une clarté d'eau de source les raisons de la malignité du principe socialiste.

Une chose reste incompréhensible, même si l'on admet l'idée de la malignité de ce principe. Le principe collectiviste mis à part, il y a tout de même dans le socialisme une masse colossale de bonnes intentions, de promesses fabuleuses, de déclarations nobles, d'idéaux élevés, de beaux discours - bref, une Grande Idée de la Justice sociale. Et tout commence avec des Majuscules... Comment ce fait-il, que cette Montagne du Bien n'a pas même accouché de la moindre mignonne souris, capable d'attendrir le coeur? Elle n'a fait que remplir un tiers du monde par une masse de rats hideux - des sociétés inhumaines de mensonge, de terreur, d'esclavage et de misère (si l'on peut appeler société ces organisations carcérales, enclos pour bétail, fourmilières sans issues). Beaucoup d'hommes bienveillants, d'idéalistes de gauche continuent de penser qu'il y avait là une erreur quelconque, une "déformation" de l'Idéal. Ils ne peuvent pas renoncer à cette Montagne du Bien, continuent à croire en leur Idéal Elevé, restent persuadés qu'un jour Il sera quand même réalisé, c'est-à-dire, qu'il sera possible, si l'on cherche bien, de trouver un autre socialisme, - propre, noble, libre, riche. Le VRAI. Pour le trouver et l'offrir à l'Humanité, ces "croyants" s'acharnent à reconstruire les vieux partis de gauche ou en fondent des nouveaux, dans le monde entier...

Réjouissons ces idéalistes. Ce Deuxième socialisme existe!!! Depuis longtemps...















9. Deux socialismes - oratoire et opératoire


Oui, il y avait toujours deux socialismes. La naissance même du socialisme vient d'un sincère désir d'améliorer notre monde dur, parfois cruel, souvent injuste, ce monde où l'égalité, la fraternité, l'abondance ne sont que des horizons inaccessibles. Les premiers utopistes rêvaient d'une société parfaite, où régnerait la justice, l'amour, la fraternité, la concorde, le bien-être, et seraient absents la domination, l'envie, les humiliations, les maladies, les punaises et autres fléaux. Bref, ils songeaient à un paradis sur terre. En décrivant ce paradis désiré, les rêveurs composaient des catalogues de tout ce qui est bon, pur et noble et qui devrait constituer les éléments d'un tel paradis. Et on appelait cela non pas le socialisme, mais tout simplement le paradis sur terre (bien plus tard, grâce au livre de Thomas More, est apparu le terme utopie, "nulle part" en latin) ). Le projet était magnifique, puisque au début le paradis terrestre était imaginé comme un formidable palais, habité par des hommes également beaux, sains, parfaits, - d'une certaine façon, frères-soeurs d'une famille idéale et unie. Il manquait uniquement des fondations pour le palais, il était suspendu dans l'air... Il suffisait de le poser sur terre, et les punaises apparaîtraient immédiatement... En outre, il était impossible de lui trouver des habitants convenables parmi les hommes réels... Eux avaient chacun leurs défauts... Quant à la fraternité, elle ne régnait même pas entre les frères de sang...

C'est pourquoi on a commencé à chercher des solutions pour créer un homo novus, apte à la "fraternité", et aussi de nouvelles bases de la société. Les bases anciennes - l'homme "égoïste" avec sa propriété privée ne convenait nullement au But Elevé. Les Penseurs se sont mis à inventer un Nouveau principe de société, et l'ancien principe était désigné comme la racine du mal. Alors, à la place d'une utopie sont apparues deux, ou, plus exactement, l'Utopie s'est scindée en deux parties. A la première partie, qui était un catalogue de bonnes intentions et de beaux discours, on pourrait donner le nom de partie oratoire. Appelons la seconde partie - la description du Nouveau Principe et des mesures opérationnelles de sa réalisation - partie opératoire. Le Nouveau Principe, suivant la primitive logique des contradictions, devait être le contraire du principe ancien, principe "vicieux" de partage (inégal!..) de la propriété, c'est-à-dire de division de la société en cellules économiques autonomes, où dans chaque cellule se trouve un propriétaire, un maître responsable (une personne, une famille ou un groupe). Qu'est-ce qui peut être le contraire du principe de division? Mais, évidement, ce serait le principe de fusion des hommes et des cellules de propriété! Autrement dit, le principe du collectivisme, sous le règne duquel tous deviennent "égaux", puisque personne ne possède rien... Tout deviendra collectif (commun, social), d'où sont nés les termes commun-isme, social-isme... Le Bonheur collectif dans un Paradis collectif... On supposait, non, on a promis fermement, que le socialisme opératoire mènerait directement au paradis décrit dans le socialisme oratoire. Les deux parties du programme étaient soudées ensemble et recouvertes par le même terme, comme par un toit commun, et les gens ont vite cessé de distinguer, que sous ce terme se cachent deux choses tout à fait dissemblables - le résultât désiré et les mesures pour le réaliser... Soulignons que l'utopie est devenue un projet non pas de paradis tout court, du paradis par n'importe quelle voie, avec n'importe quelle base, mais un projet de paradis COLLECTIF, et rien d'autre. Il en est déjà ainsi chez Platon et chez ses imitateurs More, Campanella, Mably, Morelly, Cabet et chez des centaines d'autres utopistes, y compris Marx.

Fraternité, amour, égalité, abondance, paradis terrestre... Le socialisme oratoire, en sa qualité de catalogue de sucreries, a, par nature, un visage angélique et paraît irréprochable. Quoique l'on puisse en douter et poser une question légitime: n'y a-t-il pas de poison déjà dans ce tas des friandises? Est-elle possible, est-elle souhaitable, cette fraternité entre les hommes sans liens de parenté? Peut-on aimer tout le monde, les bons et les méchants, sans distinction, et avec la même force? Serait-il juste, hors de la normale égalité des droits, d'établir une totale égalité matérielle entre, par exemple, un maladroit et un adroit, entre un paresseux et un laborieux? Est-ce que des rémunérations égales pour les deux ne seraient pas un pillage du plus productif par l'autre, une injustice criante? Il est évident, que si l'on ne récompense pas les plus grands efforts, les qualifications, l'expérience, alors les bons travailleurs baisseront les bras! D'ailleurs, même avec des rémunérations égales, il n'y aura pas d'égalité: après quelques années, l'un acquerra une belle maison, et l'autre, une cirrhose du foie pour cause d'ivrognerie. Qu'est-ce que cette égalité totale? Est-ce que tous doivent devenir des Einstein, ou se ranger au niveau du dernier imbécile? Et par quel miracle pourrait-on amener un tel nivellement? Puis, en général, quel rapport existe-t-il entre l'égalité et le socialisme? S'il s'agit d'un partage égal de la propriété, alors c'est une égalité tout à fait bourgeoise. Par contre, n'est-ce pas une illusion d'attendre l'égalité dans un régime de propriété socialisée? En famille, par exemple, la propriété est collective, mais il n'y a presque jamais d'égalité entre les membres de la famille. Assez souvent, c'est le mari qui tyrannise la famille, parfois la femme. Ou la belle-mère. Ou le grand-père. L'aîné domine le cadet, l'instruit l'ignorant, un fort de caractère, même s'il est moins âgé, domine le faible. Et nulles lois, nulles révolutions sociales ne pourront éliminer une telle inégalité. L'égalité réelle est un phénomène très rare dans la société et totalement absent dans la flore et la faune. Elle est rare même dans la société la plus démocratique, puisque la nécessaire et déjà atteinte égalité "bourgeoise" des droits (comme les règles identiques pour tous dans le sport) n'assurent pas l'égalité des performances. L'idéal de l'égalité totale (qui est la seule justification morale pour l'instauration du socialisme) s'avère être un but non seulement irréalisable, mais foncièrement INJUSTE dans son principe même!.. Et si l'on admet que c'est un idéal injuste, faux, une chimère, et qu'on l'exclut du socialisme oratoire - qu'est-ce qui reste du socialisme?.. Il reste ce que le socialisme est en réalité, sans son masque oratoire: un projet de société d'apartheid entre le peuple et les hégémones...

On ne peut fabriquer de paradis en le peuplant d'hommes défectueux. Mais est-il possible que tous les hommes soient parfaits? Dans ce cas, ils seraient tous pareils, comme des gouttes d'eau absolument pure!.. Pourtant les hommes naissent tous différents, uniques... Et chacun a ses défauts, ses qualités... C'est pour cela qu'il est individu. Et contre cela, la science n'a encore rien inventé... Heureusement... Dans le domaine matériel, le problème est semblable. Faut-il ou peut-on rendre pareilles toutes les habitations (pour éviter l'envie), et même pareilles, auront-elles la même valeur? Comment faire pour qu'une maison dans la glaciale Sibérie soit aussi désirable que sa copie conforme sur la Côte d'Azur? Comment assurer l'abondance, la totale satisfaction des besoins dans le monde, où les ressources sont limitées, les besoins évoluent constamment, les nécessités nouvelles naissent sans cesse, et le paradis, tel un mirage, s'éloigne dans la mesure où l'on s'en approche?..

Paradis sur terre... Voilà bien un Idéal de tous les Idéaux, sur lequel l'unanimité paraît indiscutable... Mais si l'on y réfléchit - est-ce vraiment un Idéal? Les pécheurs, voudront-ils s'y installer, si l'on exige d'eux d'abandonner sur le seuil leurs péchés bien-aimés? Est-ce que la vie de paradis plaira à tout le monde? Les hommes, ne vont-ils pas s'y ennuyer, ne commenceront-ils pas à dégénérer déjà dans les premières années d'une monotone vie sans combat, sans événements, sans obstacles, sans compétition, sans problèmes, qui, par définition, ne doivent exister dans une société parfaite? Et comment créer une société sans problèmes, quand tout homme est une fabrique des problèmes?..

Ne sont-ils pas faux, tous ces Idéaux? Il semble que si... Pourtant, nous n'irons pas examiner ici cette question (cardinale en soi!): est-ce que sont justes, valables, réalisables les "beaux" principes du socialisme oratoire? N'y a-t-il pas du mensonge déjà dans l'Utopie? Supposons, que la fraternité est possible, l'égalité totale souhaitable, l'abondance réalisable, que créer un homo novus est possible, etc. Posons une autre question: quel est le lien entre tous ces bienheureux idéaux oratoires et le socialisme opératoire? Est-ce que la démolition de la propriété privée (et avec elle, de l'initiative, de la responsabilité, de l'intéressement privés) accroît l'efficacité de l'économie? Est-ce que l'étatisation, qui tue la concurrence, peut mener vers l'abondance? Mène-t-elle vers l'égalité entre les travailleurs dépossédés et la bureaucratie, devenant par nécessité l'Unique et Tout-puissant Maître collectif (car quelqu'un est bien obligé de gérer l'Unique Capital "commun")? Etc. Par l'expérience, nous savons que les Idéaux oratoires, non seulement ne se réalisent nullement dans la société collectivisée, mais qu'il se produit quelque chose d'opposé, de contraire. A la place de la fraternité, règnent haine de classe, terreur, délation, méfiance, zizanie. A la place de l'amour, animosité, envie noire. A la place de l'égalité, arbitraire, privilèges d'un côté, et totale absence de droits de l'autre. A la place de l'abondance, pénurie permanente, crise du logement incessante, rationnement, files d'attente, salaires de misère, vol par nécessité comme moyen de survie. Et à la place d'un idyllique homo novus soumis et uniforme - une large gamme: des rapaces sans vergogne, des vrais cannibales, jusqu'aux chevaliers purs, trempés précisément dans leur lutte héroïque contre le projet cannibale de fabrication du petit monstre-nouvohomme, cet esclave écervelé, hypocrite, lèche-bottes et délateur.

Première conclusion: le socialisme opératoire, avec son principe contraire au pluralisme, conduit dans une direction contraire aux Idéaux qui, eux, sont pluralistes, par définition, par nature. Cela signifie, que le socialisme opératoire n'a RIEN À VOIR avec les Idéaux! Il leur est contraire! Ce n'est pas un ange, mais un diable. Un Cannibale insatiable, impitoyable, se cachant derrière le dos d'un ange. Comment peut-on donc appeler par le même mot - socialisme - deux choses absolument incompatibles, un mariage illégitime de petit ange avec un monstre? Quel est le lien entre l'oratoire promesse de "dépérissement" de l'Etat et le principal article du programme du socialisme - la réalisation d'une concentration, inédite dans l'Histoire, de tous les pouvoirs possibles entre les mains de l'Etat, autrement dit, un programme de pouvoir total, de cruelle dictature incontrôlable? La voie vers les Idéaux ne passe manifestement pas par la réalisation de la partie active, opératoire du socialisme. Ainsi, nous comprenons le mystère de cette contradiction, que Franck nous a déjà présentée comme un constat historique: "Au nom de la liberté", en appelant "tous les hommes à la richesse, à la science, au bonheur", en prétendant "fonder la société sur le principe de la fraternité humaine", ce système "commence par exciter au meurtre, au pillage et à l'incendie", et "aboutit au plus horrible esclavage", n'offre aux hommes "que la pauvreté, l'ignorance, l'existence la plus aride et la plus bornée" (ici: p. )(=p.85).


Mais si l'on arrive mieux vers les Idéaux à l'aide d'un autre principe, libéral, par exemple, ou un troisième, alors il est absurde de continuer à désigner comme socialistes ces Idéaux! De nos jours, même un enfant peut comprendre, que l'on s'est approché beaucoup plus près de l'égalité, de l'abondance, des relations civilisées par la voie libérale de la propriété pluraliste, voie de la responsabilité et de l'intéressement personnels, ayant favorisé la création et l'accroissement constant de la large classe moyenne d'hommes responsables, cultivés et aisés. Sur la voie libérale, non seulement l'homme est devenu plus aimable, mais il a mieux réussi à se débarrasser des punaises et de maints autres fléaux... Faut-il pour cette raison attacher à ces Idéaux l'adjectif libéraux? Nous ne le pensons pas - les Idéaux n'ont nul besoin d'étiquettes. Un idéal est, par définition, un but désiré, mais vers ce but peuvent mener différents moyens ou voies, souvent même leur combinaison, et il serait absurde de décider à l'avance qu'une seule voie, une seule méthode peut conduire vers le but. Il est encore plus absurde de décider à l'avance, qu'une seule et unique méthode - la collectivisation massive! - conduit vers la réalisation de TOUS les Idéaux à la fois. Chaque Idéal, s'il est réalisable, exige ses propres solutions. Un médecin affirmant qu'il possède l'Unique remède contre toutes les maladies est un charlatan fieffé. Et son remède est un poison pour la plupart des malades. La collectivisation massive n'est pas un remède, mais un poison puissant, et elle n'a que faire des Idéaux. Elle a sa propre logique de fer. C'est une potion très forte, qui met par terre l'ancienne société et engendre un système bipolaire d'inégalité extrême, avec, sur un pôle, une population impuissante, privée de propriété concrète et de stimulations pour le travail, et, sur l'autre pôle, le tout-puissant, obèse et despotique Etat monopoliste. Autrement dit, ce principe entraîne ses propres conséquences, graves, irréversibles, surtout la terreur inévitable de l'élite régnante. Même les anarchistes au pouvoir ne pourraient pas éviter de telles conséquences, puisque ces rivaux noirs des collectivistes rouges et roses sont aussi collectivistes, et la logique du collectivisme est beaucoup plus puissante que la logique de la chimère, promise par les anarchistes - de "l'abolition" de l'Etat.

Il se pose un problème de terminologie, celui de l'utilisation de ce terme à double sens, à double face - socialisme. Sont privés de toute logique les gens affirmant que le système, créé par le socialisme opératoire n'est pas le socialisme, ou n'est pas le socialisme "vrai", idéal, et que le VÉRITABLE socialisme gît dans la partie oratoire du programme, dans les Idéaux. C'est l'inverse qui est vrai! Parmi les Idéaux, que l'on appelle socialistes, il n'y en a presque aucun qui est engendré par le socialisme ou lui est attaché logiquement. De l'égalité, de la fraternité, de l'abondance (et de la liberté, qui manifestement n'a rien en elle de socialiste) les hommes rêvaient depuis le temps des cavernes, ne liant en aucune manière ces rêves avec la destruction ou la socialisation de la propriété privée. Au contraire, on liait ces rêves avec l'acquisition maximale des biens ou des moyens de production privés et avec une meilleure garantie et protection de ces biens. La plupart de Grands Idéaux sont utopiques. On peut s'en approcher, mais il est impossible de les atteindre (même la totale liberté n'existe guère). Par contre, la partie opératoire du programme (la socialisation massive) et son produit, le socialisme réel, sont tout à fait réalisables. Ces buts ont été assez fidèlement réalisés (dans la mesure où la résistance le permettait) par Lénine, Mao et autres tyrans, et tout à fait fidèlement par Pol Pot, auquel il était plus facile de briser toute résistance au Cambodge, "pays du sourire". Et c'est déjà depuis presque deux siècles, que l'on a baptisé cette partie concrète du programme du nom de socialisme - terme, dont la racine correspond absolument à l'essence du socialisme opératoire - à la socialisation. Donc ce mot est indissociablement lié avec le socialisme opératoire, mais ne correspond en rien à la plupart des éléments du socialisme oratoire.

Si tout de même nous avons appelé l'ensemble de ces éléments SOCIALISME oratoire, c'est pour deux raisons. Premièrement, parce que leur combinaison a rendu un énorme service au socialisme et s'est imprégné de lui totalement. Cet ensemble était un puissant moyen pour duper les masses, un appât pour le recrutement de l'Armée rouge-rose-noire du collectivisme, et sans la séduction du socialisme oratoire, cette armée ne serait composée que d'une poignée d'avides de pouvoir et d'arrivistes, coupés des masses. Deuxièmement, nous l'avons appelé ainsi parce qu'au socialisme oratoire étaient aggloméré des éléments purement socialistes de la "critique" de la civilisation: dénigrement des formes pluralistes de société, de la culture "bourgeoise", de l'homme normal, de toutes les religions, de la morale éternelle, de toutes les conditions et de tous les effets de la liberté (démocratie, marché, concurrence, profit, argent, etc.). Le socialisme oratoire attisait l'envie et la haine envers tous les hommes ayant réussi, hommes cultivés, indépendants ou s'élevant au-dessus de la masse: "richards", "koulaks", ergonaires. La faute pour tous les malheurs était mis sur le dos de la société "de classe", et la responsabilité personnelle de l'homme (libre!) pour ses malheurs était totalement reniée (par contre, dans le socialisme "immaculé", où la classe des hégémones est réellement responsable presque de tout, et où l'individu n'a pas plus de liberté qu'un prisonnier, tous les défauts du système seront mis sur le dos des "dépravés" individus, y compris des Guides-"déviationnistes", ou de l'"environnement bourgeois"). Le socialisme oratoire était un zélé propagandiste du socialisme opératoire. Il glorifiait le projet de collectivisation de l'homme dès sa petite enfance au nom de la création de l'esclave irresponsable, de l'homo novus (quant à cet ignoble projet de viol par les hégémones de l'âme, de la conscience, de la raison, de la dignité et de la nature de l'homme, c'est, par ordre d'importance, le deuxième point du programme du socialisme opératoire, juste après la nationalisation). Ce discours diffusait le mensonge purement socialiste sur les charmes de l'Avenir radieux de troupeau, sur le génie, l'infaillibilité et le désintéressement de l'"avant-garde", sur la future "émancipation" du prolétariat, sur le caractère "démocratique" de "sa" dictature, etc. L'Ange oratoire, après un long concubinage avec le Monstre opératoire, est devenu son complice, il s'est infecté, il a pourri, est devenu faux, et dans un certain sens mérite de porter le nom de son conjoint cannibale.

Le socialisme oratoire, avec ses promesses démentes, contenait dans son embryon-même le Grand Mensonge, qui est devenu le ciment de tout le système. Rappelons, que ce Mensonge n'est pas né par la volonté d'un Guide perfide. Non, il provient de la double logique du programme du socialisme, de sa contradiction interne. Le socialisme opératoire cannibale ne pouvait jamais réaliser les promesses du socialisme oratoire angélique. Et, après la révolution collectiviste, le peuple ne pouvait ne pas s'indigner du gigantesque abîme entre les douces promesses de l'un et les venimeux fruits de l'autre. Les hégémones, comme nous avons baptisé les maîtres du système d'esclavage collectif, avaient deux sorties de la contradiction: soit avouer cette totale contradiction et abandonner le pouvoir, soit combler l'abîme par l'Enorme, l'Arrogant, l'Inouï Mensonge, insinuant sans cesse, que le socialisme oratoire est réalisé, ou le sera très bientôt. De là vient la Terreur - car il faut bien fermer la bouche non seulement aux clairvoyants, qui ne croient nullement à ce Mensonge arrogant, mais aussi à tous ceux qui croient être les plus libres, les plus heureux hommes du monde, mais grognent, ne comprennent pas, pourquoi on les traite comme des captifs, coupés du monde et de l'information extérieurs, pourquoi on ne les laisse pas jeter un coup d'oeil sur la "misère et le chômage" dans les tanières du capitalisme "pourrissant". Sans dire que, dans le nouveau système, improductif, incapable de bien rémunérer le travail, seule la Terreur peut forcer à travailler tout le peuple, ayant perdu l'intéressement au travail. Tout pays socialiste, par nécessité, devient un royaume de Mensonge, de Censure, de Désinformation, de Terreur et de Misère. Pour ce système, la Vérité est mortelle. Quand le Mensonge s'est épuisé, s'est usé, est devenu objet de risée, et Gorbatchev bon gré mal gré a introduit la glasnost' - liberté de critique (en espérant ainsi guérir le système?) -l'Empire du Mensonge était condamné, et tout le système s'est écroulé.

Parfois, déjà dans le passé, mais surtout maintenant, après la honteuse faillite de leur Grande Idée, les hommes-de-gauche-idéalistes déçus avouent: "Il y avait une erreur dans le socialisme, on nous a trompé, nourri d'illusions". C'est vrai, mais pas tout à fait. De la duperie, des erreurs, il y en avait beaucoup dans les arguments du socialisme oratoire. Des illusions, il y en avait dans les têtes des croyants au paradis sur terre, croyants à la réalisation des chimères de la propagande. Mais il n'y avait pas la moindre erreur, illusion, duperie dans le programme opératoire du socialisme. Il promettait la collectivisation massive, et il l'a réalisée. Résolument, fermement, par le fer et par le feu. Dans ce domaine, les naïfs avaient obtenu exactement ce qu'on leur avait promis, et toute plainte de leur part serait injuste, car on ne leur a pas dissimulé cette partie du programme. Ils désiraient sa réalisation! Et si ces benêts n'ont pas décelé l'incohérence entre les deux parties du programme, s'ils servaient ce couple charlatanesque - "l'Ange de l'Idéale plus le Monstre de la Collectivisation" - alors c'est aussi leur faute. Il ont servi le puissant Monstre, et non le débile Idéal. Certainement, ils avaient entendu les alarmants avertissements de différents Franck "bourgeois" contre ce couple, mais ne les ont pas cru... Ils voulaient ce paradis collectif... Et ils l'ont obtenu dans maints pays - collectif, il l'était, mais hélas, non pas un paradis, mais un goulag... Car la collectivisation massive ne pouvait mener à rien d'autre. On les a trompé seulement à moitié... Et ils ont activement aidé eux-mêmes à la réalisation de la tromperie, avec leurs mains et leurs cerveaux.

Quant aux hégémones, eux n'avaient guère d'illusions. Leur rêve - atteindre les buts du socialisme opératoire - a été bien réalisé. Ils ont reçu entre leurs mains toute l'économie avec le pouvoir politique total, et avec cela - l'abondance pour eux, tous les bienfaits du communisme, au dépens du peuple opprimé. On ne peut pas dire d'eux: "Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient". Eux, ils savaient: les Idéaux n'étaient nullement pervertis, tout simplement ils étaient absents dans le programme opératoire - leur vrai programme. Les idéaux y étaient accolés, pour ne jouer que le rôle de décor, d'appât, de joli emballage.

Les idéalistes déçus ne veulent pas admettre qu'ils avaient consacré leur vie à un faux Idole, et ils ne cesse de fabriquer de nouvelles théories de la "perversion" des Idéaux, pour expliquer la naissance des monstres. On dit, par exemple, que la dictature du prolétariat a dégénéré en dictature du parti. Nullement! Elle ne pouvait pas dégénérer, car elle n'existait pas... Pas un jour n'existait et ne pouvait exister de dictature du prolétariat! Pour la simple raison, que le système de collectivisation massive transmet les usines et le pouvoir directement au nouveau personnel de l'appareil d'Etat, et non pas au personnel des entreprises. Il est évident que, dans ce cas, le pouvoir central, et encore moins une dictature, d'aucune façon ne peut émaner des usines. Comment contourner cette difficulté? Remettre chaque usine à son personnel comme propriété ergoniste de groupe? Mais ce serait admettre le marché, le commerce, les capitaux fractionnés, les inégalités, le pluralisme. Et priver l'Etat de propriété... Donc renoncer au socialisme... Et au pouvoir des collectivistes... Non, pour eux, il n'y a pas d'autre solution que la propriété "commune"... Et alors, comme aucun autre système, le socialisme concentre le pouvoir politique et économique total entre les mains des dirigeants et des exécutants du pouvoir central, engendre une colossale armée de bureaucrates d'Etat, c'est-à-dire crée immédiatement une nouvelle classe de propriétaires collectifs - classe des hégémones. Et même si quelques ouvriers se faufilent entre eux, ils cessent d'être ouvriers dès le moment où ils occupent des cabinets de direction. Peu importe quelle est l'origine des nouveaux propriétaires collectifs - en Ethiopie c'était le corps des officiers, en Iran le clergé. Tous, se changent en hégémones. Et les prolétaires, de salariés de toute sorte de propriétaires épars, divisés, se transforment en salariés du Maître Unique, Dictateur monopolistique. C'est cela qu'on appelle la dictature "du prolétariat"... La perversion gît seulement dans la fausse appellation. Mais le résultat - l'esclavage du prolétariat - est normalement engendré par le programme du socialisme opératoire véritable. Sans la moindre déformation ou déviation, sauf verbale. Seuls les discours du pouvoir s'écartent de la réalité socialiste, pas son programme.

Cette duplicité du socialisme rouge le rend dans un certain sens plus terrible que le socialisme brun. Dans le système brun - arrogant et sans gêne - les victimes, en tant qu'adversaires du nazisme, savent qui est leur ennemi, qui est l'allié, pour quelle cause ils luttent et souffrent. Ils ont une représentation claire du monde et peuvent garder l'espoir dans la victoire sur le mal, garder le sentiment de leur dignité propre. En revanche, dans le système rouge, la conscience des victimes du régime est souvent embrouillée, détraquée, proche de la folie. Leur ennemi perfide est masqué par des oripeaux oratoires, il estampille les adversaires du mensonge comme "ennemis du peuple", et par tous les moyens, jusqu'à la torture, la prise en otage des proches, il force les victimes à faire des faux aveux, à appeler le mensonge du bourreau vérité, et la vérité de la victime - mensonge. En utilisant les valeurs les plus sacrées comme masques et attrapes, le socialisme rend suspectes toutes les valeurs, salit tout ce qui est propre. Toutes les notions sont retournées, tous les mots falsifiés. Qui est l'ami, qui est l'ennemi, où est la vérité, où se trouve le mensonge, où est le bien, le mal, qui croire, qu'attendre? Tout est embrouillé, la victime est désarçonnée, solitaire, ne voit pas d'issue, est privée d'espoir. Le mensonge omniprésent paralyse les aptitudes de la victime pour l'action, pour la résistance. Les bases même de la personnalité - le sentiment de dignité, l'indépendance de la pensée - sont émoussées, intoxiquées par le poison du mensonge, et l'homme meurt moralement bien avant de mourir physiquement.

On dit souvent: "Ah, si l'on avait instauré le socialisme pacifiquement, sans violence, les Idéaux seraient réalisés"... Pas le moins du monde! Ce n'est pas l'application de la violence qui a changé le socialisme en rapace sanguinaire. La violence n'est qu'une émanation de la nature de loup du socialisme opératoire. Sans expropriation violente, sans Terreur contre les hommes doutants de la possibilité de réaliser les irréalisables Idéaux, sans contrainte au travail par la force, sans étranglement de la démocratie, le socialisme est tout à fait impensable. Sans violence il ne pourrait même pas naître (essayez donc pacifiquement de spolier quelqu'un de toute sa propriété, de priver le paysan de sa terre, de transformer un homme aisé en mendiant...). Sans Terreur et dans la liberté, le socialisme ne serait pas devenu humain, il ne serait tout simplement pas né. Et s'il serait né, il aurait disparu aussitôt: aux premières élections, le peuple l'aurait jeté à la décharge en tant que fraudeur en faillite, économiquement absurde, incapable de tenir la moindre de ses promesses. Non et non, le recours à la violence n'est pas une perversion du socialisme, mais sa condition, son squelette, sans lequel il ne peut ni se lever, ni rester debout. De même qu'il ne peut durer sans un système de salaires misérables, lui évitant la faillite économique.

Aucune des théories de la perversion des Idéaux n'est valable pour une simple raison: le socialisme réalise non pas les Idéaux, mais son programme opératoire. Et on en a obtenu tous les effets, normalement monstrueux. Ce n'est pas la faute à Staline. Lui-même en est un fruit normalement monstrueux, un serviteur du système monstrueux. Système difforme dès son premier jour, quand Staline ne jouait aucun rôle. Le mot même de "stalinisme" est une ruse de la propagande de gauche, tentant à décharger sur le dos d'un homme toute la faute pour la monstruosité d'un système collectif, où les Idéaux n'étaient qu'un masque, un paravent des bourreaux, une attrape pour les naïfs, tandis que la bestialité, la cruauté étaient la norme. Tous ces cannibales - Lénine, Trotsky, Staline, Mao, Castro, Ceausescu, Mengistu, Enver Hodja, Hô Chi Minh, Sekou Touré, Pol Pot et des millions d'autres petits et moyens hégémones - tous sont coupables non pas d'avoir "défiguré" le socialisme, mais d'avoir fidèlement servi le pur principe de socialisme, sale par nature. Car ce principe servait leur soif du pouvoir. C'est-à-dire qu'ils sont, autant que les idéalistes croyant aux Idéaux purs, coupables pour les crimes du socialisme, et encore plus pour l'horrible vie quotidienne du peuple dans le mensonge, la terreur, une humiliation et une exploitation inouïes. Les uns et les autres, coude à coude, ont créé et mis en action la terrible machine collective, broyant, mutilant, écrasant des centaines de millions de vies humaines.

Les théoriciens et les leaders du socialisme, élaborant et réalisant son programme opératoire cannibale, ne pouvaient pas ne pas se comporter en cannibales. Les contradictions des biographies de Marx, Engels et autres Guides sont le reflet de la duplicité du socialisme, de la contradiction entre les beautés oratoires et vilenies opératoires. Tous les serviteurs de la Cause des hégémones ont tout naturellement rejeté la morale "bourgeoise" au nom du Grand But de renversement de la civilisation "bourgeoise", et dans la vie de ces jésuites de la collectivisation saute constamment aux yeux l'incompatibilité entre leurs beaux discours, destinés à duper le peuple, à recruter des benêts, et les actes effrontés servant à atteindre le But cannibale. Ont raison ceux qui disent, qu'il y avait deux Marx (comme deux Lénine, etc.). Mais Marx ne se divise pas en jeune et vieux, bon et mauvais. Il était tout simplement constitué de deux couches, comme le socialisme. Il est cela: un noyau cannibale sous des oripeaux oratoires. Oppresseur sous le masque de Libérateur.

En notre temps, beaucoup de déçus du socialisme se plaignent: avant il y avait des Idéaux, et maintenant il n'y en a plus, ils sont morts avec le socialisme... Même en Occident, la majorité du peuple-de-gauche verse des larmes amères de crocodile: après le renversement du Mur de la Honte, le chaos est venu, le monde est resté sans Idéaux conducteurs... Et qu'est-ce que vaut la vie sans Idéaux?..

De nouveau, comme d'habitude, les gauchisants se trompent, quand ils ne mentent pas... Les idéaux n'ont aucunement péri. Les antisocialistes avaient, eux aussi, des idéaux! Leurs idéaux non seulement vivent, mais prospèrent. Les idéaux d'amour, de famille, d'amitié, de patrie, de réforme, de bien-être, de progrès, de moralité, de charité, d'amour du travail, d'instruction, de perfectionnement de soi, de tolérance, - une multitude d'idéaux éternels, vérifiés. Tous les déçus par la chute du Monstre doivent comprendre une chose - l'avancée vers ces idéaux ne sera apportée sur une assiette ni par l'Etat, ni par un Guide ou un Parti. La réalisation des idéaux est l'affaire de chaque homme. Voulez-vous une société idéale? Essayez de faire de vous-même un homme idéal. Ou tout simplement un homme bon. C'est la meilleure des choses que chacun puisse faire pour améliorer ce monde imparfait.

Par sa nature même, un idéal, - comme le bonheur, ou les intérêts - est une affaire avant tout personnelle. Il n'y a pas de Bonheur Commun, il y a seulement le bonheur de chacun, car chacun a sa propre notion du bonheur. Il n'y a pas d'Intérêt Commun, car chez tous, les intérêts sont différents, pluriels. Ce qui est un idéal pour l'un, provoque la nausée chez l'autre. C'est pourquoi il n'y a pas d'Idéaux obligatoires pour tous, même s'il existe quelques idéaux, sur lesquels une majorité pourrait trouver un accord, tels la démocratie, l'égalité des droits. Avec l'Idéal de la Justice, tout le monde est d'accord, sauf que dans ce mot-récipient les hommes différents versent un liquide différent, pas toujours noble, et en raison des différentes interprétations de son contenu on a versé plus de sang que pour toutes les autres raisons réunies. La seule version socialiste de la "Justice" a fait périr 160 millions de vies (sans les énormes charniers que la Chine cache encore: 300 millions, selon les dissidents chinois! - les communistes chinois avouent déjà 80 millions). C'est pourquoi beaucoup de gens craignent le mot Justice bien plus, que l'épouvantail de l'Injustice. Il est bien plus facile de se mettre d'accord sur ce qui est INjuste, - problème qui est depuis des siècles l'objet de travail de nombreux appareils, institutions et facultés juridiques.

A condition de tuer la liberté, on peut à coups de fouet rassembler tout un peuple sous le drapeau d'un Idéal Social Unique. Mais alors ce n'est plus un idéal, mais un joug. La voie étroite de l'Idéal unique évoque la marche d'une colonne de prisonniers du goulag sous la menace de la fameuse consigne: "Un pas à droite ou à gauche de la colonne, et la garde tire sans sommation!" En société de liberté, imposer l'Idéal unique et rabattre les gens sur la Voie unique est impossible. La liberté est justement le droit de chaque homme, dans le large champs des possibilités délimité par la loi, de choisir ses idéaux, projets, voies, et en être responsable. Pour cette raison, la "voie" pluraliste n'est pas une voie unique pour tous, mais un large champs avec des voies diverses, l'ensemble des voies honnêtes choisies par les individus librement. La Liberté elle-même n'est pas un idéal pour tous - il y a bien de gens qui n'aiment pas la dure, l'harassante indépendance et préfèrent l'esclavage, ou la domination. Autrement dit, avec le socialisme (et le national-socialisme) sont morts non pas les idéaux, mais les Idéaux forcés, obligatoires pour tous, et avant tout le monolithique Idéal de la Voie Unique Infaillible, de la société uniforme - l'Idéal de monolithisme. Dans la société pluraliste, les idéaux peuvent exister et existent - par milliers. A chacun le sien, et qui le désire - peut en avoir plusieurs à la fois. A condition que personne ne force les autres à la prosternation devant ses idéaux à lui.

A notre temps, maints partis sociaux-démocrates, socialistes et même communistes, après une avalanche de "déceptions", jettent à la poubelle le socialisme opératoire ou même tout le marxisme. Les sociaux-démocrates allemands avaient donné l'exemple déjà en 1959 au congrès de Bad Godesberg. Or, sans sa partie opératoire, il ne reste du socialisme que peu de choses - juste le titre et la partie oratoire, surtout quelques éléments disparates de l'utopie, la passion de niveler, et le bougonnement contre la démocratie et la société pluraliste. Contenu encore assez toxique, mais déjà pas mortel. Le socialisme opératoire, bien qu'il vive encore ici et là, s'est retrouvé sans son masque, avec sa gueule nue, et il n'a presque plus d'adorateurs. Et le masque oratoire, usé, ayant perdu son éclat, est resté sans socialisme, sans support. Bien que cette pacotille attire encore maints naïfs, elle n'a plus d'avenir et ne promet plus beaucoup de bonnes places. C'est pourquoi l'armée du socialisme oratoire fond comme la neige au printemps. Et de plus en plus d'hommes commencent à comprendre, que le socialisme "à visage humain" n'est possible qu'à une condition: en retirer tout ce qui est socialiste...

En lisant Franck, on reste ahuri. En 1848 déjà, le masque angélique du socialisme oratoire avait été arraché de la gueule cannibale du socialisme opératoire! Et même plus tôt, chez d'autres penseurs, quoique pas de façon aussi ferme, aussi fondée que chez lui. Malgré cela, un tiers de l'humanité a mordu à l'hameçon des Idéaux, est tombé dans la trappe pour un demi-siècle, pour trois-quarts de siècle... Actuellement les peuples socialisés commencent avec une peine énorme sortir du trou collectiviste, à guérir leurs blessures et plaies, à nettoyer leur terre et leurs âmes, à construire la société humaine à partir de zéro, au milieu des ruines, comme après une guerre dévastatrice. C'est aujourd'hui précisément qu'on peut et on doit tirer des leçons des erreurs passées, écouter ceux qui avertissaient du danger, qui pensaient avec raison, qui avaient la vue claire. C'est chez eux qu'il faut apprendre à penser, méditer, analyser, savoir distinguer les masques des visages, la vérité du mensonge, et choisir ses voies, en évitant les trompeuses impasses. Voyons ce que nous apprend Franck.


















10. Le monde a été averti


Sans doute, Franck était un prophète, un clairvoyant, et il nous apprend à regarder l'avenir d'un l'oeil vigilant, à étudier attentivement la direction de la marche. Pour comprendre sa méthode de perspicacité, il faut noter, qu'il est un prophète particulier. Il n'est pas une voyante, prédisant l'avenir, mais un analyste, examinant les possibilités, prévoyant les conséquences de différentes idées, de divers choix des voies. Il a justement remarqué dans son article Socialisme, qu'"une erreur ne peut se soutenir et captiver les esprits qu'en dissimulant une partie de ses conséquences". C'est pourquoi il cherche à deviner les conséquences des principes choisis. Sa prophétie sur le socialisme est donc une prévision scientifique, appuyée sur l'ancien expérience de l'Histoire et brillamment confirmée par les épreuves postérieures, par la violence que le socialisme réel a imposé à l'Humanité. En analysant la nature du principe du socialisme, Franck a prédit, quelles en seraient les conséquences, SI les hommes le mettraient en chantier. C'est une prédiction de "CE QUI SERA, SI", et non pas les augures de la voyante ou du marxiste sur "CE QUI SERA", ce qui sera immanquablement. Pour la voyante et pour le marxiste, tout est déterminé d'avance, est INÉVITABLE, autrement dit, l'homme n'est qu'une marionnette du destin (ou de l'économie), et il n'en peut rien changer... Par contre, pour un sage, pour un scientifique, l'homme est libre, et l'on peut prévoir non pas l'avenir, mais les conséquences des décisions, du choix des voies et des principes.

Un exemple étonnant d'une telle prévision conditionnelle est celui de l'avertissement de Heinrich Heine sur la possibilité de renaissance de la barbarie en Allemagne. En 1834, dans l'article Sur l'histoire de la religion et de la philosophie en Allemagne, il écrit:

"Le christianisme a adouci, jusqu'à un certain point, cette brutale ardeur batailleuse des Germains; mais il n'a pu la détruire, et quand la croix, ce talisman qui l'enchaîne, viendra à se briser, alors débordera de nouveau la férocité des anciens combattants(...). Alors (...) les vieilles divinités guerrières se lèveront de leurs tombeaux(...). On exécutera en Allemagne un drame auprès duquel la révolution française ne sera qu'un innocente idylle".

C'est une prophétie avec une condition: SI la Croix sera brisée, le paganisme et la barbarie ressusciteront. Heine ne pouvait pas deviner, que le national-socialisme allait se joindre au paganisme. Mais il a prévu ce que serait le communisme... Convaincu par son ami personnel Marx que le communisme est inévitable, Heine était envoûté par cette idéologie diabolique avec ses arguments venant de l'estomac (en 1855, dans la préface à Lutèce, il avoue: "Un terrible syllogisme m'a ensorcelé", celui du droit de tous les hommes à manger...). Pourtant, son âme poétique résistait à un avenir communiste barbare, et maintes fois il exprimait son horreur envers lui. En 1854, dans ses Aveux, Heine décrivait son sentiment "de crainte" envers le communisme "vulgaire", "écoeurant dans sa nudité", et avertissait que "toute notre civilisation moderne, péniblement bâtie durant de nombreux siècles, (...) est menacée par la victoire du communisme"". Et un an après (soit, un an avant sa mort), dans le poème Les Rats-voyageurs, Heine présente la possible conquête du monde par des communistes comme une invasion de "hordes radicales" de rats affamés, "ignorant Dieu", obéissant uniquement "à la logique de la soupe", aux "arguments du bifteck". Ces rats menacent "l'ordre moral et la propriété" et veulent "partager le monde" à leur façon. Cela aussi n'est pas une prédiction de voyante, mais une juste prévision et une description de la nature du collectivisme au cas où il vaincrait.

Les prédictions de voyante sont la spécialité de Marx, assurant que l'homme est une marionnette de l'économie (ou, comme le rat chez Heine, de son propre estomac! - Engels aux funérailles de Marx avait déclaré presque littéralement cette thèse comme la plus importante découverte du "géant" défunt!..). Dès ses jeunes années, Marx répétait, qu'il connaissait l'inéluctable marche de l'Histoire, puisque sa direction est déterminée par avance. Il affirmait, que le capitalisme diabolique meurt et est enceinte de socialisme angélique qui, lui, bientôt et INÉVITABLEMENT naîtra dans les pays avancés. Tout cela s'est avéré faux, et Marx, trompé dans son attente, déjà à l'âge de 44 ans regrettait, qu'au lieu de s'occuper de "grise théorie" (en réalité - de voyance) il n'ait pas fait de "vert business" (lettre à Engels du 20 août 1862). Dommage, en effet... Au lieu de la construction, il a consacré sa vie à la destruction; au lieu de servir la vérité, il a servi le mensonge et la violence...

La fondation même de ses prédictions, comme de toute la théorie marxiste, est putréfiée. Marx a proclamé l'une des conditions matérielles de l'évolution - les forces productives - comme étant un Dieu tout-puissant, déterminant la marche de l'Histoire. Confondre une condition avec un facteur déterminant est une erreur logique, que n'importe qu'un écolier moyen sait éviter (par exemple, les données météorologiques, le bon état de l'équipement et le plein réservoir de l'avion sont des conditions de navigation, mais elles ne déterminent ni la direction, ni les buts du vol). Commettre un lapsus évident serait de prétendre, que dans la société humaine hyper-compliquée tout est déterminé par un seul facteur - par les moyens de production. Encore plus aberrant est d'assurer, que les noeuds de tous les innombrables problèmes seront défaits d'un coup, si l'on agit d'une façon particulière sur ce seul facteur - en nationalisant les moyens de production. Mais le sommet d'absurdité est atteint, quand on croit, que cette méthode de décomposition de l'économie est une baguette magique, guérissant de toutes les douleurs du monde. En agissant de façon destructive sur les moyens de production, on peut, évidemment démolir une société normale (comme on peut tuer un homme, en lui brisant les reins, bien que ce ne soit pas l'organe qui façonne sa vie). Mais cela ne signifie pas, que tout est déterminé par ces forces productives (comme la vie de l'homme n'est pas déterminée par les reins, tant qu'ils sont en bonne état). A partir des mêmes moyens de production, il est tout à fait possible de composer des systèmes différents (comme c'est arrivé après 1945, quand on a coupé par un rideau de fer en deux parties l'Allemagne, la Corée, la Chine, le Viêt-nam). L'Histoire n'est pas une marionnette des forces productives, et sa marche dépend plus des décisions des hommes, de leurs confrontations et leurs compromis, dans les larges et changeantes limites des possibilités matérielles et culturelles. Et puisqu'on ne peut pas prévoir les décisions futures (comme on ne peut pas prédire les conditions météorologiques au-delà de quelques jours), il est donc impossible de prévoir la marche de l'Histoire.

Nous, les hommes qui vivons à l'époque des événements non prédits avec des conséquences non-prévues, nous avons appris la modestie dans le domaine de prévisions de l'avenir... Personne ne savait, par exemple, quand et comment le socialisme s'écroulerait, bien que beaucoup de gens comprenaient que ce système vicieux, contraire au bon sens, aux notions élémentaires de la morale et de la justice, était condamné à la mort. Le penseur russe Alexandre Herzen avait prévu cette fin en 1850, dans l'article De l'autre rive:

"(...) Le socialisme se développera dans toutes ses phases, jusqu'à ses dernières conséquences, jusqu'à des absurdités. Alors (...) [il] sera vaincu par une nouvelle révolution à nous inconnue".

Le libéral allemand Eugen Richter avait prédit en 1891 et décrit sous forme d'un petit roman de politique-fiction Les Tableaux de l'Avenir social-démocrate (paru en France en 1892 sous le titre Où mène le Socialisme) toutes les conséquences pratiques du principe de collectivisation: arbitraire, censure, pénurie, rationnement, files d'attente, corruption, incurie au travail, mauvaise qualité des produits, impolitesse des vendeuses, martyre dans le domaine du logement, magie des cartes du parti, asservissement des paysans, pseudo-élections, fuite à l'étranger, rideau de fer, guerre froide, et même une fin à la polonaise, avec le soulèvement des ouvriers! Et tout cela, un quart de siècle avant la naissance du socialisme réel, Richter l'avait deviné non pas comme l'effet de conditions particulières de son pays ou de l'époque. Il a repéré tous les embryons du cauchemar dans les principes du socialisme. Il a notamment lu ces conséquences entre les lignes du programme du parti social-démocrate allemand, adopté au congrès d'Erfurt sous la dictée d'Engels, ainsi que dans les textes du chef du parti, August Bebel, fidèle élève, collaborateur et ami de Marx et Engels.


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Oui, l'avenir n'est pas déterminé d'avance, mais on peut bien connaître à l'avance les propriétés et les conséquences de tel ou tel principe, adopté pour l'action. Cette connaissance est une clef pour la compréhension du passé et de ce qu'il est préférable d'éviter. La lecture des textes de Franck que nous présentons, aidera le lecteur à tirer une masse de conclusions sur la nature cachée de maints éléments du socialisme. Mais déjà, après notre aperçu des principales idées de ces textes, on peut tirer une série d'importantes conclusions pour notre époque sur le principe même du socialisme, sur sa nature et ses effets.

- Ainsi, donc, le monde a été prévenu, au moins sept décennies avant la révolution collectiviste, que la voie du socialisme mène vers un marais sanguinaire. Franck l'avertissait avec une perspicacité étonnante, après l'exploration non pas du socialisme marxiste brutal, mais simplement du principe du socialisme à l'état pur, "innocent". La précision des prévisions de Franck est en soi une preuve suffisante que le socialisme était monstrueux par nature, et non par la faute des facteurs extérieurs, des hasards ou des "perversions". Le goulag et les autres charmes du socialisme réel avaient été pressentis d'avance par des sages et planifiés par les meneurs du socialisme. Cela veut dire que ces fléaux n'étaient pas des vers dans un fruit succulent, mais les fruits vénéneux les plus normaux d'un arbre vénéneux. Ce qu'il fallait démontrer avant tout.

- Le monde a été prévenu que le socialisme n'est pas un fruit du progrès, qu'il n'est pas la future société parfaite et nouvelle, jamais expérimentée jusqu'alors, mais une vieille et réactionnaire forme de despotisme, d'économie impersonnelle, décadente, et d'esclavage politique, - système désastreux, inhumain, maintes fois essayé dans le passé, dans des versions diverses et sur tous les continents.

- De tout cela il était facile de comprendre, que le socialisme n'avait aucun lien avec la naissance ou l'émancipation du prolétariat, et que la dictature "prolétaro-paysanne" serait une dictature d'hégémones dans un système d'esclavage politique, où les ouvriers seraient de misérables bagnards, enfermés dans leur pays comme dans une prison, et les paysans - des serfs de l'unique maître collectif. Ce fait est d'autant plus pénible que la masse des ouvriers et des paysans elle-même a aidé à instaurer ce système, étant dupée par les slogans du socialisme oratoire: "Les usines aux ouvriers! La terre aux paysans!", slogans, n'ayant rien de commun avec le socialisme opératoire qui est un programme d'étatisation de toutes les formes autonomes, cellulaires de propriété.

- Le monde savait, que l'avènement du socialisme n'était nullement inévitable, et qu'il ne découlait aucunement du développement des forces productives, mais pouvait naître et était toujours né comme un fruit artificiel de la volonté despotique, fruit de la violence d'un tyran, d'une caste ou d'une mafia politique. Les forces productives seules ne déterminent pas le principe de la constitution sociale, elles ne font que définir les limites matérielles et culturelles des possibilités du choix. Or, dans la large zone délimitée par les possibilités, c'est la volonté des hommes, c'est leur choix qui décide.

- Le monde était informé, que la culpabilité pour les conséquences tragiques de l'application du principe de collectivisation massive incomberait à ce principe lui-même, à sa nature monstrueuse, et non pas aux conditions locales (russes, cubaines, etc.), aux personnages, traditions ou circonstances du moment, aux difficultés postrévolutionnaires. L'Idéal avait été mal réalisé? Est-ce la faute aux conditions défavorables d'exécution du programme? Aux vices de la Russie? Au complot de l'étranger? A la défiguration de l'Idéal? A son exécution diabolique? Non! Le coupable, c'est l'Idéal de collectivisation lui-même, diabolique par nature. Le goulag provient de là - du collectivisme, du nivellement. Et plus le socialisme est pur, plus il est monstrueux. Il n'y eut pas de perversion significative de l'Idéal, on n'a rien obtenu que ces conséquences logiques. Si dans les pays du socialisme se sont conservées quelques niches d'humanisme, d'humanité, c'est seulement dans la mesure où l'Idéal était "perverti", pas réalisé entièrement, car, ayant rencontré une résistance désespérée, il n'avait pas réussi à occuper tout l'espace et tout le temps, et avait accordé grâce à certaines valeurs "bourgeoises".

- Les pourfendeurs-de-gauche des "défauts" et des "perversions" du socialisme réel sont, au fond, des défenseurs de l'essence du socialisme, de son vicieux principe goulagogène. En condamnant le "stalinisme", le "pseudo-socialisme", le socialisme "perverti", ils s'échinent à suggérer, qu'un socialisme "pur" est possible, et que, par nature, il n'est nullement une idée empoisonnée et un monstre sanguinaire. Autrement dit, cette forme de critique des "ombres" du socialisme est une nouvelle forme de la duperie socialiste.

- Le monde savait, quelles valeurs peuvent assurer le progrès, le bien, la vérité, et rendre la société plus humaine. On savait, que le socialisme avait justement l'intention de détruire ces valeurs: liberté, famille, propriété, religion, responsabilité personnelle, morale éternelle, travail libre, commerce libre.

- La présence des textes de Franck et d'autres faits et signes alarmants prouvent que Marx, Lénine et autres meneurs du collectivisme ont été averti de la vicieuse nature du socialisme, et qu'ils savaient ce qu'ils faisaient, vers quel abattoir, vers quel marais ils conduisaient le peuple. Mais la soif du pouvoir faisait d'eux des cannibales conscients, des planificateurs d'un crime prémédité, prêts à sacrifier des millions de vies humaines. Et maintes fois ils avaient déclaré qu'ils y étaient prêts. Ils avaient prévu d'avance le goulag. On pourrait remplir de nombreux tomes avec leurs menaces, leurs discours cannibales, prononcés avant leur arrivée au pouvoir. Dans le meilleur des cas, la soif du pouvoir les rendait sourds aux arguments de la raison, et ils devenaient des serviteurs aveugles d'une cruelle Idée.


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On est obligé de faire une conclusion générale: le socialisme est une idée criminelle, car c'est un programme destiné à contraindre les hommes par la violence à accepter un principe unique, un mode de vie forcé et uniforme, donc à renoncer à la liberté du choix et à la propriété sur les sources d'existence, d'information et de connaissance, accaparées par l'Etat pour sa possession monopoliste. C'est pourquoi le socialisme est aussi une idée de pillage, de spoliation totale du peuple, puisque dans ce système aucune partie du peuple laborieux ne travaille pour soi. TOUS les fruits du travail sont appropriés par l'Etat (mise à part la production des lopins privés, mais ils relèvent de la forme ergoniste, et non pas socialiste de propriété; ces lopins ne sont qu'une "survivance" de l'ancienne société, une béquille "bourgeoise", que le pouvoir tolère, car un travailleur ne peut pas survivre avec un salaire socialiste, et d'ailleurs l'Etat seul n'est pas capable de produire assez de denrées alimentaires).

En ce sens, les deux textes de Franck, présentés plus bas, sont une sévère condamnation du socialisme, une dénonciation du caractère criminel aussi bien de son cardinal principe opératoire, que de son trompeur masque oratoire. Ces textes représentent un précoce dévoilement de la nature fausse et vicieuse de cette idéologie, de laquelle l'Occident a été sauvé, mais qui a réussi au 20e siècle à inonder par un torrent de terreur et de mensonge un tiers de l'Humanité. Franck nous aide à comprendre cette simple vérité: à de rares exceptions près, tout ce qui est faux, on peut le trouver dans le socialisme (y compris sa variante national-socialiste), et tout ce qui est socialisme, est faux. Même ses "idéaux".

Franck nous aide à épurer nos idées, notions et méthodes du virus mental, qui est introduit dans les têtes des hommes de notre époque par les procédés de lavage de cerveau sous des torrents de mensonge. Dans les pays socialistes, ce lavage brutal, incessant, était appliqué de la crèche jusqu'au tombeau. Dans le reste du monde, il se faisait moyennant une propagande empoisonnée, généreusement financée par les pays collectivisés. Telle une inondation boueuse, les livres de Marx, Engels et de leurs successeurs de tous les courants de gauche ont submergé les bibliothèques du monde entier. L'idéologie de l'école marxiste - antiscientifique, mensongère, pleine de trucages et de falsifications, a pénétré dans tous les domaines de la connaissance, de la littérature, de l'art, et empoisonnait partout la conscience des masses pendant des décennies.

Par contre, on ne peut pratiquement trouver les oeuvres du diseur de vérité Adolphe Franck dans aucune bibliothèque, et presque personne ne les connaît de nos jours... Dommage que ces sources de lumière aient subi une éclipse d'un siècle et demi, avant de resurgir maintenant devant les lecteurs. Mais il n'est jamais trop tard pour les découvrir - Adolphe Franck reste actuel même aujourd'hui. Car la vérité et la sagesse sont immortelles et peuvent servir éternellement. Et servir à tous. Le 2 mars 1848, aussitôt après la révolution démocratique, dans sa conférence de philosophie à la Sorbonne, Franck avait dit, que "seule la raison est démocratique". Car, "ainsi que le soleil, dont elle tient la place dans le monde des esprits, elle luit pour tous".

Le président d'honneur de la Ligue contre l'athéisme, philosophe et homme politique français Jules Simon, en faisant adieu à Franck, lui avait rendu cet extraordinaire, inégalable, suprême hommage, dans le journal Le Temps du 13 avril 1893:

"D'autres ont fait plus de bruit, personne n'a fait plus de bien".

Par ses oeuvres, par sa méthode de recherche, par l'exemple de sa vie, le juste et sage Franck nous apprend la bonté et la raison, nous apprend à choisir les voies justes. Or, choisir ses voies, un homme libre le fait presque quotidiennement, dans de divers domaines de sa vie. La liberté, c'est précisément le droit de choisir. Et l'homme libre va toujours quelque part - telle est sa nature. Si l'on ne réfléchit pas à la direction de sa marche, si l'on ne vérifie pas la destination, les possibilités, les moyens, les conséquences, alors, au lieu d'aller de l'avant, vers le haut, l'homme erre, chemine en l'arrière, vers le bas ou vers une impasse, parfois en marchant sur les cadavres, pour sa propre perte ou celle des autres. La recherche incessante de la bonne direction, recherche de la vérité, lutte ininterrompue contre les erreurs, contre les idées fausses, n'est-ce pas le but principal de l'homme sur notre Terre, n'est-ce pas le principal moyen de perfectionnement de l'homme et de l'Humanité? De l'issue de la bataille d'idées dépend notre destin, dépend le caractère du monde, où nous vivrons: sera-t-il une assemblée pacifique d'hommes et de peuples libres, prospères, bienveillants les uns aux autres, ou bien, comme par le passé, les fausses idées contribueront à faire proliférer encore plus d'Etats-monstres haineux, de bandes de fanatiques, de terroristes, de barbares, semant la haine, la discorde, la misère, les guerres, les souffrances et la mort. Dans une lutte contre eux, les armes ne sont pas suffisantes. Seule une implacable guerre d'idées contre les principes faux peut arrêter les malheurs par l'éradication du mal, dont le foyer se trouve dans les esprits. Cela nous est aussi enseigné par Adolphe Franck, l'un de ces sages qui ont sauvé l'Occident du socialisme et sauvé la Liberté pour l'Humanité et qui croyaient en la force de la moralité.



Paris, mars 1998.





NOTES

(de la rédaction, si nécessaire)


LE COMMUNISME JUGÉ PAR L'HISTOIRE


(les notes de Franck étant placées en bas de pages,
celles de l'éditeur peuvent être placées ici
.)

(1) ............



SOCIALISME

1 (Note pour le début de l'article, p.1624) Notre édition de cet article du Dictionnaire des sciences philosophiques, publié sous la direction de Franck, reproduit l'édition de 1885, identique à celle de 1852, sauf pour l'indication d'une date dans la bibliographie, donnée par Franck à la fin de l'article.

2 (page 1625, après le mot phalanstériens). Phalanstère - mot créé par le socialiste Charles Fourier (1772-1837) à partir des mots phalange (formation serrée des fantassins) et monastère. Dans l'utopie de Fourier, la phalange désigne une communauté de travail de 1620 habitants occupant espace de 16 km2, comprenant communauté des femmes et organisée selon un règlement de caserne. Le phalanstère est un énorme palais-caserne tenant lieu d'habitation. De tels blocs uniformes devaient composer la future société communiste. Plus bas, Franck décrit l'organisation du phalanstère.

3 (p.1627, après les mots religion de la misère). Il s'agit de Pierre-Joseph Proudhon, l'incohérent père de l'anarchisme, qui a désigné la propriété comme le vol, mais avait soumis à une critique impitoyable ses rivaux communistes dans l'essai en 2 volumes Système des Contradictions économiques, sous-titré Philosophie de la Misère (1846). A ses prophétiques, terribles avertissements sur le danger du socialisme-communisme, en tant que système "qui aboutit fatalement" (...) à l'iniquité et à la misère", à "l'exaltation de l'Etat" et à "la glorification de la police", Marx a donné une réponse de sourd dans sa casuistique Misère de la Philosophie (1847).

(L'éditeur peut rajouter d'autres notes explicatives).




BIBLIOGRAPHIE

1. LES OEUVRES D'ADOLPHE FRANCK

  1. Les Révolutions littéraires, thèse de doctorat, 31 p., Toulouse, Douladoure, 1832.
  2. Le Système de Democrite restauré d'après les textes, 1836.
  3. Des Systèmes de Philosophie et des Moyens de les mettre d'accord, 1837.
  4. Esquisse d'une Histoire de la Logique, 315 p., Hachette, Paris, 1838.
  5. La Kabbale ou la Philosophie religieuse des Hébreux, 412 p., Hachette, Paris, 1843.
  6. De la Création, 1845 (in Archives Israélites).
  7. De la Certitude, 314 p., Ladrange, Paris, 1847.
  8. Le Communisme jugé par l'Histoire, 71 p., Joubert, Paris, 1848, 1849; 99 p., Lachaud, Versailles, 1871.
  9. Notices historiques et critiques (Paracelse, Thomas Morus, Bodin, Machiavel, Mably, etc.), 1849-1875 (in Recueil de l'Académie des Sciences morales).
  10. Dictionnaire des Sciences philosophiques, sous la direction d'Adolphe Franck, préface de Franck, tous les articles non signés sont de Franck, Hachette, Paris, 1842-1852 (en 6 t.), 1852;1806 p.,1875; 1820 p., 1885.
  11. Sur les sectes juives avant le Christianisme, 1853.
  12. Le Rôle des Juifs dans le développement de la Civilisation, 1855 (in Archives Israélites).
  13. Le Droit dans les anciennes nations d'Orient, 1855 (in Revue Contemporaine).
  14. Paracelse et l'Alchimie au XVI siècle, Vaugirard, Paris, 1855.
  15. Etudes orientales, 477 p., Lévy, Paris, 1861.
  16. Utopistes du XVII siècle, Hobbes, 1861 (in Revue Contemporaine).
  17. Réformateurs et Publicistes de l'Europe, 3 séries, 506, 513, 317 pp., Lévy, Paris, 1864-1893.
  18. Philosophie du Droit pénal, 239 p., Baillère, Paris, 1864.
  19. Philosophie du Droit ecclésiastique, 192 p., Baillère, Paris, 1864.
  20. Des Principes du Droit naturel, Association polytechnique, Paris, 1865.
  21. La Philosophie mystique en France à la fin de XVIII siècle, 228 p., Baillère, Paris, 1866.
  22. Philosophie et Religion, 451 p., Didier, Paris, 1867.
  23. De la famille, 51 p., Hachette, Paris, 1867.
  24. Vraie et Fausse Egalité, 52 p., Hachette, Paris, 1867.
  25. La Morale pour tous, 193 p., Hachette, Paris, 1868.
  26. Eléments de la Morale, 200 p., Hachette, Paris, 1868.
  27. Moralistes et Philosophes, 485 p., Didier, Paris, 1872.
  28. Le Capital, 23 p., Chaix, Paris, 1872.
  29. Projet de Constitution, 36 p., Le Chevalier, Paris, 1872.
  30. L'Abolition de la peine capitale, 1877.
  31. Philosophes modernes étrangers et français, 420 p., Didier, Paris, 1879.
  32. La Religion et la Science dans le Judaïsme, 18 p., Cerf, Versailles, 1882.
  33. Essais de critique philosophique, 346 p., Hachette, Paris, 1885.
  34. Des Rapports de la Religion et de l'Etat, 18 p., Alcan, Paris,1885.
  35. Philosophie du Droit civil, 295 p., Alcan, Paris, 1886.
  36. Le Péché originel et la Femme, 14 p. (in Actes et Conférences de la Société d'etudes juives, Durlacher, 1889).
  37. Le Panthéisme oriental et le Monothéisme hébreu, 11 p. (idem, 1889).
  38. Nouveaux Essais de la Critique philosophique, 360 p., Hachette, Paris, 1890.
  39. Allocution adressée à ma petite fille (sur le mariage), 8 p., Versailles, Cerf, 1891.
  40. L'Idée de Dieu dans ses rapports avec la Science, 18 p., Carré, Paris, 1891.
  41. L'Idée de Dieu dans ses rapports avec l'ordre social, 12 p., Faivre, Paris, 1893.
  42. Nouvelles Etudes orientales, 413 p., Lévy, Paris, 1896.
  43. Articles in Journal des Débats, Journal des Savants, Paix sociale, Liberté de penser, Revue Contemporaine, Moniteur universel, Revue des Etudes Juives, Actes et Conférences de la Société des Etudes juives, Archives Israélite; discours et rapports in Séances et Travaux de l' Académie des sciences morales et politiques, etc.


  44. LES TEXTES SUR FRANCK

- Alfred Fouillé, Le Mouvement idéaliste, annexe 1, Monsieur Adolphe Franck et le mouvement philosophique depuis cinquante ans, Alcan, 1894, pp.283-301.
- Eugèn Manuel, Un philosophe d'autrefois: Adolphe Franck, (in La Revue de Paris du 15 juin 1896).
- Marin Ferraz, Adolphe Franck, in La Revue du Siècle, n°140, janvier 1899, t.13, pp.1-21.
- Hartwig Derenbourg, Allocution du 27 janvier 1894, hommage à Franck (in Revue d'Etudes Juives, 1894, t.28, n° 56, annexe, pp.III-XI).
- Dareste, Boissier, Discours aux funérailles de M. Ad. Franck, imp. Firmin-Didot, 10 p., 1893.
- A la mémoire de M. Ad. Franck, discours et articles, imp. Montorier, 48 p., 1893.
- Pauline Franck, Une vie de femme (lettres intimes), 597 p., Tours, Bousrez, 1898.

- Archives Israélites, t. 9, avril 1848 et t.54, n°16 du 20 avril 1893.
- L'Univers Israélite, n° 16, du 1er mai 1893.

- Nouvelle Biographie Générale, de Hoefer, éd. Firmin Didot frères, Paris,1856.
- Larousse du XIXe siècle, Larousse, Paris, 1872.
- Dictionnaire universel des contemporains, de G.Vapereau, Hachette, Paris, 1893.
- La Grande Encyclopédie, Lamirault, Paris, 1894.
- The Jewish Encyclopedia, Funk and Wagnolls Co, New York, 1903.
- Dictionnaire des auteurs, Laffont-Bompiani, Paris, 1952.
- Enciclopedia Universal ilustrada Europeo-Americana, Espasa-Calpesa, Madrid, 1964.
- The Universal Jewish Encyclopedia, Ktav, New York, 1969.
- Encyclopaedia Judaica, Keter, Jerusalem, 1971.
- Dictionnaire de biographie française de R.d'Amat, Letouzey, Paris, 1979.






  1. SOMMAIRE

  2. LA CONDAMNATION DU SOCIALISME
  3. (Introduction de Jacob SHER) .............................................................. 3
  4. 1. Deux brochures ou Franck contre Marx ........................................ 5
  5. 2. Deux biographies .............................................................................. 12
  6. 3. Deux Juifs ............................................................................................. 20
  7. 4. Le socialisme et la question juive.................................................... 24
  8. 5. Le christianisme et la question juive ............................................. 40
  9. 6. Deux principes ..................................................................................... 59
  10. 7. Les avertissements d'un sage ........................................................... 61
  11. 8. Les plans d'un dictateur .................................................................... 67
  12. 9. Deux socialismes - oratoire et opératoire ..................................... 73
  13. 10. Le monde était prévenu .................................................................... 83
  14. Adolphe Franck
  15. LE COMMUNISME JUGÉ PAR L'HISTOIRE
  16. Depuis son origine jusqu'en 1871 .......................................................... 91
  17. communisme en 1871, avant et depuis l'insurrection
  18. 18 mars (avant-propos de la 3e édition) ..........................................
  19. Ier. Du socialisme et du communisme en général ................
  20. II. Du communisme avant le christianisme:
  21. L'Inde, l'Egypte, la Judée, la Grèce .........................................................
  22. III. Du communisme sous l'influence des idées chrétiennes:
  23. Opposition radicale du communisme et du christianisme;
  24. communautés ascétiques et hérétiques; frères moraves,
  25. anabaptistes, quakers, etc. .....................................................................
  26. IV. Du communisme philosophique:
  27. Thomas Morus, Campanella, Fénelon, Rousseau, Mably,
  28. Morelly ......................................................................................................
  29. V. Du communisme révolutionnaire:
  30. Robespierre, Babeuf ..............................................................................
  31. VI. Conclusion ....................................................................................

  32. - SOCIALISME
  33. (article du Dictionnaire des sciences philosophiques, 1852) ............

  34. ............................................................................................................. C1
  35. .............................................................................................................. C2
  36. BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................... C6

  37. ILLUSTRATIONS:

  38. Adolphe Franck en 1837.
  39. Quatre portraits d'Adolphe Franck.
  40. Page de titre de la 3e édition.
  41. Page de titre du Dictionnaire, contenant l'article Socialisme, 3e édition.
  42. Maison, où Franck habitait à Paris, 32, rue Ballu. Photo de 1995.
  43. La tombe de Franck à Paris au cimetière Montparnasse. Photo de 1995.