EDITIONS XXXX
Monsieur le Président
du Comité de lecture

103, bd saint-Michel
75005 PARIS


Le 30 mai 1994
Monsieur,

Veuillez trouver, ci-joint, l'abrégé de mon manuscrit ENQUÊTE SUR LE SOCIALISME, que je vous propose pour publication en un ou deux tomes. Sous-titre: Énigme d'un Idéal engendrant des monstres. Titre alternatif: MISÈRES ET SPLENDEURS DU SOCIALISME. Enquête sur la Grande Énigme. Étant donné qu'à partir d'un abrégé il est impossible de saisir la structure et l'esprit du livre, je me permets de vous les exposer ici.

Il prolonge, d'une façon différente, les interrogations des deux livres célèbres: L'Archipel du Goulag de Soljenitsyne et La Nomenklatura de Voslensky. En répondant sans ambiguïté à la question - quelle est la nature du régime soviétique? - leurs auteurs ont provoqué une révolution intellectuelle chez les maîtres-penseurs de l'Occident, qui niaient, jusqu'à ces dernières années, le caractère monstrueux de ce régime.

Soljenitsyne et Voslensky ont démoli le mythe soviétique, mais, hélas, leur analyse laisse presque intacte la théorie de "déviation" qui rend les conditions locales (russes, chinoises, etc.) responsables de la naissance des régimes monstrueux après chaque révolution socialiste, pour mieux disculper le socialisme dans son principe. Le goulag, dit-on, est produit non pas du socialisme, mais de sa dégénérescence dûe à une "infection" locale après sa naissance. Mon livre réfute cette thèse, en déchiffrant le mystère du socialisme jusqu'au bout, et fait un pas de plus dans l'enquête, commencée par ces deux auteurs.

Si eux, ils ont décrit les monstrueuses conséquences de la révolution socialiste, moi, je pose la question de la cause de ses conséquences, question suivante: pourquoi, après 1917, toute révolution socialiste accouche d'un monstre? Est-ce que le nouveau-né devient monstre par la faute des "microbes" extérieurs, des circonstances défavorables de naissance, de croissance (arriération, guerre, "erreurs" du Parti, cruauté d'un staline, mao, etc.), ou bien la monstruosité gît dans la nature socialiste du nouveau-né, dans le principe même du socialisme? Après la naissance, les deux facteurs (conditions du moment et nature collectiviste du régime) sont mêlés, agissent ensemble, il est donc quasiment impossible de déterminer lequel des deux est à l'origine du résultat monstrueux. Pour faire abstraction des circonstances postnatales, il n'y a qu'un moyen: étudier la période prénatale du socialisme, la nature du "foetus" pendant sa gestation. Si l'on décèle les symptômes de monstruosité déjà "dans l'utérus", dès l'éclosion de l'embryon, il serait évident que la naissance du monstre ne doit rien aux circonstances de l'accouchement. Sa nature cannibale serait l'effet non pas d'une dégénérescence postnatale, mais de son propre "code génétique", code de monstre. Le degré de malignité du régime engendré ne serait que proportionnel à la dose de socialisme appliquée, autrement dit, à la dose de collectivisation.

Ainsi, j'entreprends les recherches des symptômes de monstruosité dans tout ce qui est socialiste, avant 1917, indépendamment du lieu - en Russie, en France, en Allemagne ou ailleurs. Mon enquête suit quatre pistes, auxquelles correspondent quatre principaux chapitres parmi les huit du livre:

1. Etude des utopies, toutes étant des projets de société collectivisée et toutes inspirées, au fond, par le projet communiste de Platon, qui, lui, a copié la législation de Lycurgue, en Sparte antique. Etude du programme de Marx, pas moins utopiste, mais réalisable, par la terreur, comme toute utopie. Conclusion de cet étude: c'est bien la terreur, l'asservissement que l'on lit, en clair, dans les règlements cruels de ces cités monolithiques de Bonheur collectif et de travail forcé. Les Codes du socialisme de goulag ne font que les copier. Ainsi, dans les chants de bonheur des utopistes, on décèle facilement des notes lugubres, de mauvais augure, les symptômes de monstruosité. J'appelle ces chantres les Cassandre du bonheur et c'est le titre du chapitre correspondant.

2. Rappel des innombrables avertissements des vraies Cassandre du passé, que je nomme les Cassandre du malheur. Ces magnifiques ancêtres d'Orwell (en commençant par Aristote, avertissant contre le projet de Platon), prophètes souvent oubliés, avaient étudié les projets et les principes socialistes purs, y ont décelé tous les symptômes troublants, et avaient prédit, avec une précision extraordinaire, prodigieuse, le cauchemar du socialisme réel: despotisme, pénurie, inefficacité, bureaucratie, régime policier et faillite finale. Le fait que tout cela ait été parfaitement prévu, dans les moindres détails, comme l'effet naturel des principes socialistes, dans n'importe quel pays, est une preuve que ce cauchemar n'a rien d'un accident postnatal, d'une "déviation" russe ou autre. L'horreur gît dans les germes du socialisme, dans son principe le plus pur, principe de collectivisation massive, c'est-à-dire de fabrication d'une société uniforme, monolithique, où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mêmes mains. L'infinie sagesse de ces Cassandre du passé éclaire tout le livre, et c'est l'admiration pour ces sages qui m'a poussé à l'écrire.

3. Examen des symptômes de monstruosité dans la pratique du socialisme prénatal (chap. Symptômes pratiques): dans ses expériences à petite échelle (communautés, phalanstères), dans les tentatives de prise ou d'exercice du pouvoir (en 1796, 1848, 1871), dans le comportement de ses penseurs, meneurs, partis, clans, sectes, (avec leurs "purges", zizanies, excommunications et même assassinats), dans leur conception de la morale, dans le choix des moyens, etc. Nous y verrons que le goulag commence bien avant 1917 et que son apparition à grande échelle, après la révolution, n'était nullement une surprise.

4. D'autant plus que le goulag était voulu, prémédité et planifié: maintes déclarations des promoteurs du socialisme annoncent leur volonté délibérée d'organiser la terreur, la dictature, une expropriation impitoyable, la liquidation sanguinaire de classes entières, de tout pluralisme économique et politique par les moyens les plus cruels. J'appelle cela les Discours cannibales et ils sont très nombreux dans l'histoire prénatale du socialisme. Un seul exemple: Babeuf (que Marx qualifia de fondateur du "premier parti communiste agissant") prévoyait dans son Décret de police, qu'en cas de réussite de sa conjuration de 1796, seront créés des camps de concentration sur cinq îles entourant la France. Dans un autre texte, il ordonnait "d'exterminer tous les opposants". Lénine ne sera que son imitateur. Rien d'étonnant: la terreur est le seul moyen de fabriquer une société monolithique, entièrement étatisée, où tout individu est soumis à la collectivité et devient, en fait, esclave d'Etat. En laissant aux hommes la liberté, on ne peut pas les forcer à adopter un mode de vie unique, on ne peut pas réaliser une telle uniformité, unanimité, qui n'existent pas dans la nature et dans la société. Une telle construction artificielle (frauduleusement déclarée, par Marx, comme l'effet inévitable de l'évolution naturelle du capitalisme, comme fille du progrès...) ne peut être créée que par une violence impitoyable. Les discours cannibales sont donc conformes à la logique du socialisme. Sans terreur, le socialisme ne peut ni s'établir ni se maintenir. Car le peuple, pluraliste par nature, ne peut tout entier souhaiter ce système uniforme. Même au cas où une majorité le choisit, il faudrait exproprier et contraindre la minorité. Puis, il faudrait terroriser la nouvelle majorité, composée des opposants et des déçus de ce système économiquement inefficace, invivable. Sinon, en restant libre, le peuple l'annulerait dans le premier vote. La terreur est donc inséparable d'un vrai socialisme, à dose forte. Je démontre, dans ce chapitre que, dès 1917, c'est bien l'assassinat délibéré de la démocratie, la volonté cannibale d'introduire le socialisme par décret et par une terreur monstrueuse qui sont à l'origine du cauchemar, et non pas l'inverse, selon la version de gauche, prétendant que le cauchemar (la guerre civile, la ruine économique, la famine) était la cause qui a donné au visage du socialisme des traits monstrueux.

Ces 4 chapitres sont précédés de 3 autres, dont le premier, Le Mystère du socialisme, expose ma méthode d'enquête "prénatale" et le choix des pistes d'investigation.

Le ch.2, Socialisme sans voiles, établit la définition de l'insaisissable objet de mon étude - le socialisme - suivant les programmes socialistes. Je découvre même deux socialismes, superposés: oratoire et opératoire. Le premier est celui des beaux discours et des belles promesses de Bonheur, d'Egalité, de Prosperité, de Justice. Le second, qui n'a aucun lien logique avec le premier, est un programme de réalisation, par tous les moyens, de la collectivisation massive qui, elle, conduit à la pénurie et à l'oppression totalitaire du peuple par une mafia collectiviste, que je baptise la classe des hégémones (dont la Nomenklatura est une partie centrale). Bref, un masque angélique recouvrant un visage cruel. Ce dédoublement du socialisme fait que le Mensonge devient son pilier indispensable, comme la terreur, la pénurie et les salaires de misère.

Le ch.3, Le Monde en trois dimensions, élabore l'instrument d'analyse, définit un point d'observation hors du schéma bipolaire "gauche-droite". Etant donné qu'il existe bien plus de deux formes de propriété, et qu'une entreprise peut appartenir à trois types de propriétaire (patrons, Etat ou personnel), je découvre dans la réalité, face à deux principes de société qui fondent le schéma bipolaire, le troisième, tel le troisième angle d'un triangle. C'est l'éternel principe de la propriété "ergoniste" (du mot grec ergon, travail), celle de travailleurs-propriétaires (individuels ou groupés). Ce principe est bien distinct des deux autres principes: libéral (patronal) et socialiste (collectiviste, tendant vers le monolithisme). Le pluralisme économique (partage de la propriété en cellules autonomes) est le trait commun entre les pôles ergoniste et libéral. Cette nouvelle classification introduit une troisième dimension dans la "géométrie" politique, aide à dévoiler un certain nombre d'énigmes du socialisme (par exemple, son attitude ambiguë, perfide envers les formes de propriété non-capitalistes, mais pluralistes: les vraies coopératives, les travailleurs indépendants). Elle aide aussi à comprendre le mystère de trois tendances (gauche, droite, "tréade") à l'intérieur des principaux partis ou, par exemple, saisir la nature du débat triangulaire Sartre-Aron-Camus. Elle éclaire aussi la lente mutation de la démocratie, du libéralisme, par la diffusion du savoir et du capital, vers une plus grande participation du personnel et des citoyens au capital, aux décisions, aux bénéfices, aux affaires de la cité. Les deux systèmes actuels "convergent" non pas vers un point à mi-chemin entre la gauche et la droite ni vers le pôle de droite, mais vers ce troisième pôle du triangle des principes. Autrement dit, vers une société où la participation au capital et le rôle du personnel des entreprises seront de plus en plus importants.


Le livre se termine par le ch.8, L'Agonie du socialisme, qui contient mes conclusions, l'analyse de la perestroïka, le bilan et la nécrologie du socialisme finissant.

Un projet de 4e page de couverture, ci-joint, peut compléter cette explication.
La liste des portraits, ci-joint, qui pourraient illustrer le livre, est celle des principaux personnages que je cite et qui participaient au débat sur le socialisme. L'Index contient près de 700 noms. La Bibliographie des sources citées contient plus de 400 titres.

Je suis bien conscient que mon français (langue que je n'ai jamais apprise pendant mes études soviétiques) a besoin d'un bon coup de peigne, et j'y consens d'avance.

Ma brève autobiographie, ci-joint, temoigne de ma longue "expérimentation" du socialisme et du capitalisme, dont la comparaison m'a aidé grandement à écrire ce livre.

Le travail de l'imprimeur serait simplifié, car le manuscrit est imprimé à l'aide d'un ordinateur PC compatible et mémorisé sur 4 disquettes 3,5" (deux par tome). Le Traitement de texte utilisé, Paragraphe, est très répandu dans l'Education nationale.



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Question de volume. Le livre est né de ma recherche des références de quelques avertissements prophétiques, que j'avais mentionnés dans mon précédent livre de 1982 (intitulé Changer les idées, éd. Rupture). Croyant que ces prophéties étaient peu nombreuses, j'avais l'intention d'écrire un petit livre sur les Cassandre du socialisme. Mais mes recherches ont entraîné une "réaction en chaîne". Etonné par l'abondance et la précision des propos de Cassandre sur le socialisme, j'ai compris que les indubitables symptômes du goulag devaient exister bien avant l